PE : condamnés à s'exécuter?
Mis à jour le 03.09.18
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Le ministre multiplie les instructions, la profession répond respect et liberté pédagogique.
Sommaire du dossier
- Présentation générale
- une obligatoire liberté de concevoir
- Boss des maths
- "Plus de coopération"
- Géo trouve tout
- "Besoin d'une zone d'autonomie"
« Enseigner : un métier d’exécution ou de conception ? » Organisé les 27 et 28 novembre prochain à Paris par le SNUipp-FSU ce colloque tombe à point nommé. L’année scolaire dernière a été riche en conseils appuyés et en partis pris du ministre de l’Éducation nationale pour faire savoir quelles étaient selon lui les meilleures façons d’enseigner. Du petit livre orange sur l’apprentissage de la lecture au CP, aux quatre priorités centrées sur les fondamentaux (lire, écrire, compter, respecter autrui), en passant par les recommandations concernant l’utilisation exclusive de la méthode syllabique, à l’en croire enseigner se résumerait à la mise en pratique systématique de recettes toutes faites et infaillibles. Cette manière de « coacher » caresse dans le sens du poil les nostalgiques d’un supposé âge d’or de l’école.
Pratiques adaptées
Tout à sa communication, fortement influencée par les apports des neurosciences en éducation, le ministre en oublie les travaux de la recherche des autres sciences qui, en termes de pédagogie, de didactique, de gestion du groupe classe, de la prise en compte de la diversité des élèves ou encore des nouvelles matières d’enseignement, sont elles aussi bien utiles à l’exercice du métier. Ce dernier doit prendre en compte une double nécessité. La première est de respecter le cadre défini par des programmes conçus pour assure une égalité d’accès aux savoirs de tous les élèves. La seconde est de mettre en oeuvre les pratiques adaptées pour y parvenir. Or, il est faux de prétendre qu’une seule méthode fonctionne de la même manière pour tous les élèves, que tous arrivent à l’école avec le même bagage culturel et avancent au même rythme. L’art d’enseigner réside dans la capacité à adapter ses pratiques aux besoins de ses élèves.
Liberté pédagogique
C’est ce à quoi renvoie la liberté pédagogique, inscrite dans le code de l’éducation. Elle « s’exerce dans le respect des programmes et des instructions du ministre et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement avec le conseil et sous le contrôle des membres des corps d’inspection. » Mais même avec des contraintes, cette liberté est indispensable pour être au plus près de ses élèves (lire ici). Le métier d’enseignant est bien celui d’un concepteur et non pas d’un simple exécutant. S’il y a polyvalence du PE dans le premier degré, elle est moins dans la maîtrise experte de toutes les disciplines que dans la faculté de concevoir la manière d’enseigner pour chacune d’entre elles. Adapter ses pratiques en puisant dans une boîte à outils qui ne se réduit pas à une méthode unique permet d’actionner les meilleurs leviers qui feront entrer chaque élève dans les apprentissage et de lutter ainsi contre les inégalités scolaires. La situation de la France semble bien particulière quand on songe à la récurrence des disputes qui agitent le monde de l’éducation au sujet des programmes et du travail enseignant. Dans de nombreux autres pays européen, cela ne se passe pas comme ça. En témoigne Éric Charbonnier, expert en éducation auprès de l’OCDE : « L’évaluation(des enseignants – NDLR) se fait d’abord sur la capacité pédagogique de transmettre les savoirs. S’il n’y a pas de débat comme en France, les enseignants conçoivent leur pédagogie dans un cadre qui identifie les leviers de réussite pour les étendre ailleurs », observe-t-il. À l’arrivée, la plupart de ces pays réussissent mieux que la France aux évaluations internationales.
Besoins de formation
Mais concevoir son enseignement ça s’apprend. Certains font preuve individuellement d’inventivité, comme Xavier Leroux à Tourcoing. Face à la carence des ressources dans cette matière, il enseigne la géographie en s’appuyant sur l’environnement de ses élèves et conçoit ses supports. À Plélo, en Bretagne, Sophie Poilpot enseigne les maths sur la base de pratiques élaborées collectivement.
Mais le rôle de la formation reste prépondérant, et pas seulement la formation initiale. C’est un métier qui évolue et, rajoute le représentant de l’OCDE, ces pays qui réussissent « misent sur des formations initiale et continue de qualité qui vont suivre ces évolutions ». En France, selon Olivier Maulini, spécialiste de l’analyse des métiers d’enseignants, « les formations qui veulent développer ce type de professionnalité vont ancrer l’objet de formation dans l’écart entre travail prescrit et travail réel. Elles cherchent à interroger les pratiques ordinaires et à les confronter aux ambitions du curriculum prescrit et des savoirs à enseigner ». Mais, prévient-il, « moins nous disposerons d’expertise didactique et pédagogique pour identifier les variables culturelles et sociales à l’oeuvre dans l’éducation, plus la technocratie prendra de l’ampleur » et l’enseignant deviendra davantage exécutant que concepteur.
Concevoir son métier, ne pas simplement exécuter des directives dégringolant du ministère, c’est un enjeu professionnel pour les PE et une source essentielle de bien-être au travail… ou de mal-être en cas contraire. C’est ce que constatent les recherches comme celles de l’ergonome Dominique Cau-Bareille qui souligne combien les prescriptions incessantes affectent «l’identité professionnelle » enseignante et créent de la souffrance. Jusqu’à des « départs précoces » de la profession en début ou fin de carrière. Pour durer, l’étude dirigée par F Lantheaume (FSC 440) a montré qu’un des éléments-clés était la capacité « d’avoir une pensée critique et de traduire les réformes en dispositifs qui ont du sens » pour les enseignants et leurs élèves. La réflexivité est là, sur les pratiques, avec la volonté de les faire progresser. Mais pour cela il faut du temps et de la formation.
Les six pages du dossier sont disponibles ici: