Parcours et origine sociale
Mis à jour le 20.06.23
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Interview de Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités
“Les parcours restent surdéterminés par l’origine sociale”
Louis Maurin est directeur de l'Observatoire des inégalités. Il vient de publier "Rapports sur les inégalités en France" édition 2023
Le dernier rapport de l'Observatoire des inégalités note-t-il des améliorations sur le plan scolaire ?
Malheureusement, on est sur les mêmes constats depuis 20 ans. Le discours sur les inégalités prend beaucoup de place mais dans les faits, ça n’évolue pas beaucoup. Je ne suis pas de ceux qui mettent toute la responsabilité sur le système scolaire. Sans lui, les inégalités seraient encore plus grandes et il y a quand même des secteurs dont la France peut être fière comme la maternelle ou l’enseignement supérieur. Les filières comme les DUT et les BTS permettent à des élèves issus des classes populaires d’accéder à des carrières intéressantes. Mais les parcours restent surdéterminés par l’origine sociale. Si l’accès aux études supérieures est passé de 37% pour les jeunes nés à la fin des années 60 à 57% pour ceux nés au début des années 90, la proportion d’enfants d’ouvriers et d’employés n’a augmenté que de 2,9 points contre 7,7 points pour les enfants des milieux favorisés. Ces derniers ont donc davantage profité de l’allongement des études que les autres.
Quel constat faites-vous pour l'école primaire ?
Les inégalités scolaires se creusent très tôt et beaucoup de choses sont en place dès l’entrée à l’école. Bien sûr, la réalité est parfois plus complexe. L’échec scolaire n’est pas une fatalité et certains jeunes arrivent à rattraper leur retard. Il n’y a qu’à observer le parcours scolaire de certains jeunes migrants. Mais, à l’inverse, on constate qu’entre le CP et le CM2, les élèves déjà favorisés socialement sont ceux qui évoluent le plus positivement. L’école tire vers le haut les élèves qui suivent mais peine avec ceux qui connaissent des problèmes. Au primaire, l’apprentissage précoce de la lecture par rapport aux autres pays pénalise les enfants de milieu populaires. Le dédoublement des classes en éducation prioritaire ne doit pas faire oublier que ceux-ci ne scolarisent qu’un quart des élèves défavorisés. L’amélioration du taux d’encadrement, si elle n’a pas un effet magique, est cruciale pour le bien-être des élèves et des enseignants. La Belgique, la Finlande ou l’Espagne, pays équivalents, ont un taux d’encadrement meilleur que la France avec ses 18 élèves par classe en moyenne.
L'égalité filles-garçons progresse-t-telle ?
Globalement, les filles obtiennent des diplômes supérieurs, mais en réalité les garçons continuent à être davantage présents dans les filières les plus élitistes. Une étude du ministère portant sur les élèves scolarisés au CP en 2011 montre qu’à ce niveau les filles ont de meilleurs résultats en français que les garçons et d’un niveau équivalent en mathématiques. Arrivées en CM2, elles conservent leur avantage sur les garçons en français mais sont devenues moins performantes en maths. Or la maîtrise des mathématiques reste en France un facteur déterminant pour l’accès aux filières et aux carrières les plus valorisées. En réalité, les garçons sont mieux diplômés pour accéder à des formations gratifiantes. Et cela n’a rien de génétique puisque ce phénomène n’est pas observable dans d’autres pays.
Le système scolaire entretient-il les inégalités sociales ?
Il y a un paradoxe français. On est sans doute le pays qui produit le plus de réflexions sur le système éducatif sans pour autant être capable de le faire évoluer et de le transformer. Notre système éducatif est déterminé par un élitisme républicain qui favorise la réussite d’une minorité, en théorie de toutes origines sociales, mais en pratique issue de milieux déjà favorisés, plutôt que d’élever le niveau moyen en évitant qu’aucun élève ne décroche. C’est sans doute une question de moyens, mais il faudrait aussi réduire la pression qui s’exerce sur les enseignants, les élèves et les parents et rétablir la confiance avec le ministère. Elle a beaucoup été abîmée par des attitudes méprisantes et une succession de pseudo-réformes. Il faut un travail en profondeur qui passe par une énorme volonté politique. Est-ce que les classes favorisées y sont prêtes ? Je suis confondu par l’hypocrisie de tous ceux qui clament la nécessité de l’égalité scolaire sans engager la moindre action susceptible d’y parvenir.