Musique, la bonne mesure
Mis à jour le 26.06.24
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L'injonction aux "fondamentaux" met au second plan l'enseignement musical
Les injonctions sur les « fondamentaux » mettent au second plan des disciplines indispensables à la formation générale des élèves comme l’enseignement musical. Les programmes fixent des attendus et des progressions en termes de connaissances et de pratiques, mais la diversité des possibilités d’intervention en classe s’avère d’une richesse plus grande encore pour la réussite de tous les élèves.
La relation de chaque individu avec la musique débute avec les premiers jours de la vie, tout simplement parce qu’elle est omniprésente dans son environnement familial et social. Pour autant, cette proximité n’en fait pas moins un objet d’éducation et une matière d'enseignement à part entière. Les programmes en vigueur sont ceux de 2015, complétés par un plan chant choral en 2019. Pour le reste, les piliers de l'éducation musicale restent inchangés et porteurs d’une ambition pas toujours facile à satisfaire. Alors que le « lire, écrire, compter » a été élevé au rang de priorité absolue, il est peut-être utile de rappeler que dans les programmes officiels, l’éducation musicale est « l’un des deux enseignements artistiques qui participent de la formation générale de l’élève », avec un temps hebdomadaire consacré aux trois axes principaux que sont la pratique vocale, l’écoute et la découverte des patrimoines, auxquels il faut encore ajouter la production.
"La musique c'est du bruit qui pense", Victor Hugo
CONSTITUER UN CAPITAL MUSICAL COMMUN
Cet enseignement, à ne pas confondre avec l’apprentissage de la musique au conservatoire qui passe notamment par celui du solfège, participe à la mission de l’institution en faveur de la constitution d’une culture commune. Tous les enfants n’arrivent pas avec le même capital musical à l’école, et sans chercher à introduire des hiérarchies de valeur entre musiques populaires, musiques du monde, musiques « savantes », etc., chacun doit pouvoir en faire l’expérience. Seule l’école peut répondre à cette exigence.
Ensuite, au-delà des finalités attendues par les programmes, l’enseignement musical peut s’avérer bénéfique pour les élèves en difficulté ou ayant du mal à intégrer les codes scolaires. Chanter, c’est faire et vivre ensemble et cela nécessite de la discipline dès lors qu’on chante en groupe. C’est aussi apprendre des textes en chanson, la mélodie, le rythme, facilitant la mémorisation quand parfois elle peut s’avérer ardue. Le chant, et encore mieux la production musicale quand c’est possible, peut agir comme un levier pour mettre en valeur des élèves par ailleurs en difficulté sur d’autres séquences. À l’aise avec la discipline, ils peuvent recouvrer de la confiance en eux et mieux intégrer les autres apprentissages scolaires, tout en trouvant leur place dans le groupe classe et en modifiant le regard porté par l’adulte et les autres élèves.
L’ÉLÈVE ACTEUR DE SES APPRENTISSAGES
Ces enjeux, Amélie Lapprand, maîtresse de CM1 à l’école élémentaire Pierre et Marie Curie de Besançon, les a bien cernés. L’enseignement musical qu’elle dispense à ses élèves repose à la fois sur l’écoute et le chant choral. La première pour découvrir le répertoire, reconnaître les différents styles et courants musicaux, constituer un patrimoine ; le second « pour développer des compétences dans un cadre un peu différent de celui de la classe », l’élève étant « acteur de ses apprentissages » (lire p16-17). Comme l’indiquait Victor Hugo, « la musique c’est du bruit qui pense ». À Marseille, grâce à l’action menée auprès des scolaires par le festival Jazz des Cinq continents, Perrine Blanc et Blandine Faugloire, qui enseignent en CE1 dans deux écoles différentes situées en REP+, ont mené avec un artiste intervenant dans les classes un projet autour d’un conte musical. Regroupées pour la restitution finale, les deux classes ont à la fois chanté en chœur et joué d’un instrument de musique fabriqué à partir de bouteilles en plastique. « Mener à bien un projet collectif ambitieux permet de donner du sens aux apprentissages. Les élèves s’investissent davantage, notamment ceux en difficulté qui ont toute leur place et se révèlent parfois leaders dans ce type d’activité », souligne l’une d’entre elles. Mais tout cela est bien souvent plus facile à dire qu’à faire, notamment en raison du manque de formation et de temps. « La musique nécessite de la technicité, une certaine aisance, même pour le chant, principal support développé dans les programmes », affirme Jean Moissonnier, chargé de mission de coordination d’un pôle musique à Strasbourg . L’intervenant extérieur peut aussi fournir une aide précieuse : des artistes mais aussi les titulaires d’un diplôme universitaire de musicien intervenant (DUMI). De son côté, Frédéric Maizières, didacticien de l’enseignement musical, reconnaît que trouver du temps pour cet enseignement peut s’avérer difficile avec l’empilement des prescriptions . Mais conclut-il, « les enseignants peuvent s’appuyer sur leur polyvalence permettant de lier la musique aux autres enseignements. C’est complexe mais aussi d’une grande richesse ».
DEMOS, UN DISPOSITIF AMBITIEUX
Lancé en 2010 par la cité de la Musique/Philharmonie de Paris, le projet Demos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale) - soutenu notamment par les ministères de la Culture et de l’Éducation nationale - répond à deux missions : la transmission de pratiques musicales collectives auprès d’enfants vivant dans des quartiers relevant de la politique de la ville ou dans des zones de revitalisation rurale et l’accompagnement des dynamiques territoriales favorisant la démocratisation culturelle. Il propose de pratiquer la musique classique en orchestre pendant 3 ans, du CE2 au CM2. À chaque école, une famille d’instruments de l’orchestre : chaque élève volontaire est responsable de l’instrument qu’on lui confi e et qu’il pourra conserver. Encadrés par des professionnels de la musique, les élèves suivent des ateliers hebdomadaires dans leur école et se retrouvent régulièrement en formation orchestrale. Un dispositif ambitieux mais qui concerne peu d’élèves.