Mobilisation et démocratie

Mis à jour le 22.04.23

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Itv de Danielle Tartakowsky, spécialiste de l'histoire politique de la France au XXe s

“La mobilisation participe à la démocratie parlementaire”

Danielle Tartakowsky est historienne, spécialiste de l’histoire politique de la France au XXe siècle.

FsC 489 Grande itv 34 DanielleTartakowsky©Alawa

Quelle est la légitimité du mouvement social contre la réforme des retraites ?  

Tout mouvement social est légitime dès lors qu’il s’inscrit dans des formes d’actions qui sont garanties par la Constitution comme la grève. La France est un pays où les conquêtes sociales ont toujours été la résultante d’actions conjointes de mouvements sociaux et d’élaborations parlementaires. Il y a deux exemples majeurs dans l’histoire de notre État social. Les conquêtes du Front populaire, en particulier les 40 heures et les congés payés qui résultent d’un mouvement de généralisation des grèves dans le secteur privé en 1936. Le gouvernement va arbitrer le conflit entre les salariés et le patronat mais également monter en puissance en faisant voter à l’unanimité par la Chambre des députés la loi sur les 40 heures et celle sur les congés payés. Cela laisse des traces dans la mémoire collective, l’idée que la lutte paie. Le deuxième moment, ce sont les conquêtes de la Libération inscrites dans le programme du Conseil national de la résistance, sous l’effet conjoint du rôle du mouvement ouvrier dans la résistance et du rapport des forces politiques et de leur pluralisme au sein du Conseil. 

En quoi la contestation populaire participe-t-elle aussi à la démocratie parlementaire ?

La mobilisation participe à la démocratie parlementaire puisque l’élaboration de la loi en règle générale n’est jamais le fait des seuls élus. Ils s’appuient sur toute une série de lieux où s’expriment, se construisent les positions de l’opinion publique. Il y a des porosités entre le monde syndical, le Conseil économique et social, les associations, les conventions citoyennes et l’élaboration des lois. Pour exemple, la prise en compte législative de la violence faite aux femmes résulte de plusieurs décennies de mobilisations des femmes et des féministes. Le rapport entre la mobilisation et la loi n’est pas forcément immédiat mais s’inscrit toujours dans une sorte de besoin d’exigences sociales qui revêt des formes multiples et qui, in fine, peuvent passer par le Parlement et par la loi. Aucune loi ne se développe dans l’isolement d’une Chambre des députés qui n’aurait de contact avec personne. La circulation entre la société civile et le Parlement est indispensable si on veut que la loi soit en prise avec la réalité sociale. 

Le mouvement social remet-il en cause le fonctionnement des institutions ?  

Non, il permet leur bon fonctionnement, en phase avec la société. À deux moments de notre histoire, les mobilisations de rue se sont du reste même affirmées comme le moyen de gérer une crise politique dans le cadre du régime existant. En 1934, ce sont les ligues d’extrême droite qui engagent le pays dans une crise politique majeure le 6 février, ce qui aboutit à la démission du président du Conseil qui vient pourtant d’obtenir la majorité. Cela entraîne une mobilisation anti-fasciste à l’échelle nationale qui elle-même prélude la construction du Rassemblement populaire. En 1968, c’est le phénomène inverse puisque la crise s’engage par les barricades du quartier latin et la manifestation intersyndicale du 13 mai, prélude à la grève générale. C’est la manifestation gaulliste articulée avec la dissolution de l’Assemblée nationale qui permet la sortie de crise.

Comment faire évoluer nos institutions pour renforcer la prise en compte de la parole citoyenne ? 

D’une part par la multiplication de ces formes d’actions, d’organisations qui, en pratique, construisent la citoyenneté comme par exemple, tout ce qui relève de l’économie sociale et solidaire, les coopératives, les associations qui sur le terrain mènent une politique d’accueil et de protection des immigrés, toutes celles et ceux qui œuvrent pour une mise en œuvre des valeurs républicaines et démocratiques. Faire commun pour la défense de biens communs suppose l’articulation de l’expertise, de l’engagement et le lien avec les institutions. Mais cela ne suffit pas, il faut aussi que politiquement il y ait des relais qui permettent de porter haut et fort dans un cadre électoral cette exigence de redéfinition des modalités du politique et de la démocratie.
Exergue “À deux moments de notre histoire, les mobilisations de rue se sont affirmées comme le moyen de gérer une crise politique dans le cadre du régime existant”

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