Mayotte dans l’œil du cyclone

Mis à jour le 30.01.25

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Après le passage de Chido, une île encore plus démunie en cette rentrée de janvier

Dévastée par Chido en décembre, l’île est encore plus démunie en cette rentrée scolaire et le plan « Mayotte debout » semble bien insuffisant.

Un vendredi 13, ça ne s’oublie pas. Ce devait être le dernier jour d’école à Mayotte, mais les vacances ont débuté un jour plus tôt à cause de l’alerte cyclonique. Tout le monde se barricade, on baisse les rideaux de fer, on fait ses provisions, on se dirige dans les abris… Le calme avant la tempête. Mais dès les premières bourrasques, c’est la panique. Les toits de tôle s’envolent.

Chez Emmanuel Beguin, un peu avant 10h, la baie vitrée du salon explose. Il se réfugie avec ses deux filles, la peur au ventre, dans la cuisine. « J’ai tenu la porte pendant plusieurs heures pour qu’elle ne s'envole pas », conte cet habitant de la commune de Dembeni. Il vivait dans une maison en dur. Ce n’est pas le cas de nombreuses habitations mahoraises, à l’image des milliers de bangas soufflés par le cyclone Chido, ces petites cases construites avec des matériaux récupérés par-ci par-là, sans fondation. 

Aujourd'hui, les dégâts sont encore difficiles à évaluer. La préfecture a pour l’instant recensé 39 décès. Manuel Valls, ministre des Outre-mer parle de « 124 blessés graves et près de 5 000 blessés légers ». « Mais de nombreux blessés sont restés chez eux, par peur de se faire expulser », témoigne Lucie Gagnepain, éducatrice de rue qui fait des maraudes pour les Apprentis d’Auteuil.

FENÊTRES BRISÉES, ÉCOLES INONDÉES

Mayotte

Après un mois de congé, habituel durant cette saison estivale, les élèves auraient dû reprendre le chemin de l’école. Mais ils ne sont pas rentrés. Chido a tout écrasé sur son passage. Arbres arrachés, tôles éparpillées, maisons à ciel ouvert, paysages apocalyptiques. Laithi-dine Ben Saïd, maire de Mtsamboro, ne reconnaît plus son île : « Les autorités n’avaient pas mesuré la force de ce cyclone. La réalité nous a surpris, Mayotte a été dévastée ». Particulièrement touchée au nord par Chido, Mayotte est de nouveau frappée par une tempête tropicale ravageant le sud de l’île un mois plus tard. Dans ces conditions, la rentrée des classes, d’abord repoussée d’une semaine pour les 117 000 élèves, est finalement fixée au 27 janvier.

Du moins pour les écoles qui le peuvent. Selon le recteur, Jacques Mikulovic, 39 écoles (sur les 221 écoles « administratives ») étaient en incapacité de fonctionner à la mi-janvier. L’île était déjà dans une situation catastrophique avec 77% de la population sous le seuil de pauvreté, une violence omniprésente, des services publics exsangues, une forte hausse démographique, une école sous équipée. L’Insee estimait à 321 000 la population de Mayotte en 2024. Une personne sur deux est un enfant. Des chiffres impossibles à corroborer avec la réalité, de nombreux migrants venus principalement des Comores ou d’Afrique continentale n’étant pas recensés.

Les écoles ont été durement touchées. Adidja Fatihou, co-présidente de la FCPE, décrit des classes de l’école élémentaire de Dembeni aux fenêtres brisées et inondées : « le bois s’arrache avec l’eau. Mais avant Chido, des grilles étaient déjà tordues et des portes condamnées. ». « À Mtsamboro, liste le maire, trois écoles sont impactées : une maternelle dont le préau a disparu et deux autres écoles dont une partie des toitures a été soufflée. Des salles sont aussi très dégradées par le vandalisme et du matériel pédagogique a été volé. » Malgré cela, le maire et son équipe étaient sur le pont pour tout remettre en état et assurer la rentrée dans ces locaux. Mais la dégradation de centaines de mètres de clôture a remis en cause la réouverture de deux écoles. Ils ont trouvé une autre solution avec des rotations dans d’autres écoles de la commune.

Dominique Haim, secrétaire académique du SUI-FSU, syndicat unitaire des inspections pédagogiques, estime que « sans matériel, sans ordi pour certains, nous repartons quasiment de zéro. C’est un défi de relancer l’école en tenant compte des problématiques humaines, répondre aux urgences physiques, mais aussi redonner aux élèves, qui ont envie de retourner en classe, les clés intellectuelles pour dépasser ce traumatisme. » « Des cellules psychologiques et formations pour donner les éléments de langage pour accueillir le vécu des élèves avec les mots justes » sont en cours. Les PE attendent d’en bénéficier.

Avant le cyclone, 80% des écoles n’étaient déjà pas aux normes de sécurité. « Avec un toit en tôle, sans plafond, les jours de pluie, l’eau entrait dans ma classe et le bruit des gouttes sur la tôle était si bruyant que nous ne nous entendions plus parler », confie Mathilde Chevriere, enseignante à la maternelle de Combani. Quand la toiture est restée, d’autres problèmes s’abattent sur les écoles. Dès le lendemain du passage de Chido, Anziz, directeur de l’école Abdallah Sidi à Mamoudzou Centre, fait face à des pillages : tôles, portes, chaises, tables… Tout le mobilier est en passe d’être emporté.

DE L’ESPOIR AU DÉSENCHANTEMENT

Mathilde, elle, récupère tout ce qu’elle peut pour le mettre à l’abri, chez elle, à quelques pas de l’école. Mais surtout, portée par la solidarité, elle retrouve les réfugiés à la MJC de la ville. Avec une de ses collègues, elle apporte vêtements et nourriture pour « ces familles qui ont tout perdu », et propose aussi des activités aux enfants. « Cela leur a permis de s'approprier les lieux, de se changer les idées et de laisser les mamans souffler un peu. ». 

À Mayotte, le désengagement de l’État est patent et ne date pas d’hier. Chido l’a amplifié. L’hôpital de campagne installé le 24 décembre au stade de Cavani, dans la ville principale de Mamoudzou, a montré son efficacité, dans l’urgence, mais pour l’école, les services publics et la vie économique, c’est une autre histoire. « Des enfants errent, cherchent à se nourrir, boivent l’eau de la rivière qui déborde de détritus, constate Adidja Fatihou. Pour eux une seule hâte, retourner à l’école pour manger mais aussi se sentir en sécurité, jouer et apprendre avec leurs amis. »

LA JEUNESSE MIGRANTE DUREMENT TOUCHÉE

La situation des migrant·es, majoritaires dans les bangas, est catastrophique. Alors que l’école reste pour les jeunes migrant·es le moyen de se sentir considérés comme des être humains leurs droits sont bafoués. À leur 18e anniversaire, ils échouent souvent à obtenir la nationalité française « alors même que certains sont acceptés dans des universités » ou peuvent obtenir des « visas qui ne les autorisent pas à travailler ». « Un non sens » pour Lucie, éducatrice de rue. « On demande à ces jeunes de rentrer chez eux. Mais chez eux, c’est Mayotte. Ils n’ont connu que cela depuis leur naissance ».

PLAN “MAYOTTE DEBOUT”

Le plan “Mayotte Debout” prévoit pour la reconstruction, entre autres, une allocation immédiate de 100 millions d’euros et la création d’un établissement public du type de celui lancé pour Notre-Dame. Sur le volet scolaire, l’État se substituera aux collectivités territoriales pour la reconstruction ou la rénovation des écoles sur les 3 ans à venir. Pour la rentrée, l’accueil des élèves s’organisera au cas par cas, avec par exemple trois rotations par jour, dans une même classe, avec pour conséquence l’amputation du temps scolaire. Pour Rivomalala Rakotondravelo, co-secrétaire départemental de la FSU-SNUipp, « les solutions ne tiennent pas toujours compte de la réalité comme la mise en place des tentes-écoles ». Pour faire pression sur le ministère, afin d’obtenir des négociations, le syndicat a déposé un préavis de grève reconductible. Le projet de loi d’urgence visant à accélérer la reconstruction de l’archipel a été adopté à l’Assemblée nationale.

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