Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités : "Il n'y a pas d'enfants pauvres, il n'y a que des enfants de parents pauvres".
Mis à jour le 12.09.17
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Interview de Louis Maurin, journaliste et directeur de l'Observatoire des inégalités, suite à la sortie de son livre "Rapport sur les inégalités en France, édition 2017".
Quels objectifs poursuivez-vous avec la publication de votre deuxième « Rapport sur les inégalités en France » ?
Notre site inegalites.fr est désormais très fréquenté et on pourrait se demander si on a forcément besoin de reprendre les données collectées sous forme papier. Pour nous, il reste important de faire le point de façon régulière. Le rythme biennal nous semble une bonne périodicité pour sélectionner les indicateurs principaux du moment et ainsi peser dans le débat en posant des jalons pour éclairer la situation de la société française. Notre rapport, s’il éclaire le niveau des inégalités, est là aussi pour objectiver le constat et apporter de la nuance dans les analyses. À force d’exagération, certaines formes de critique sociale nourrissent les arguments de ceux qui estiment que l’on dépense trop et veulent remettre en cause le modèle dans son ensemble.
Quels éléments marquants ressortez-vous de votre étude ?
Dans le travail que nous menons depuis maintenant plus de quinze ans, beaucoup se focalisent sur l’enrichissement des plus riches. À juste titre, car cet enrichissement est à bien des égards indécent, a fortiori dans une période de crise. En revanche, on fait relativement peu de cas de l’affaiblissement des catégories les plus pauvres. En bas de l’échelle des revenus, on a des gens qui vivent avec de moins en moins d’argent. Les évolutions démographiques, la crise de l’emploi et la précarité accroissent ce phénomène. C’est facile d’avoir un consensus sur les riches, car on a toujours plus riche que soi. Mais une certaine bourgeoisie intellectuelle, relativement aisée - aujourd’hui on rentre dans les 10 % de personnes les plus riches avec 3 000 euros de revenu après impôts pour une personne seule - oublie toute une partie de la société qui, sans vivre dans la grande misère, connaît une précarité qui s’accroît et des conditions de vie qui se détériorent.
Le débat est vif à l’heure actuelle autour des salariés et des conditions de travail.
Sur ce sujet comme sur d’autres, nous essayons de faire la part des choses et de ne pas tomber dans la caricature. On occulte beaucoup la pénibilité physique qui pèse sur toute une catégorie de salariés qui travaillent dehors, à la chaîne, soumis à la chaleur, aux intempéries, au bruit, à la pollution… Pour être franc et au risque de heurter vos lecteurs, dans le débat sur les retraites, on entend plus les professeurs des écoles que les ouvriers qui désossent des carcasses toute la journée. Non pas qu’il n’y ait pas
une légitimité pour les enseignants à évoquer les difficultés à travailler auprès des jeunes enfants après 60 ans mais cela pose un problème d’accès à la parole publique. Une des grandes fractures de la société d’aujourd’hui se situe entre les exécutants et ceux qui font exécuter. Tout comme la fracture qui s’établit entre ceux qui ont un horizon de vie parce qu’ils ont un emploi stable, un salaire fixe et ceux à qui on dévoile le dimanche l’emploi du temps de la semaine et qui ne peuvent imaginer ce qui sera demain.
Les inégalités sont-elles vécues de la même façon en France que dans d’autres pays ?
En France, l’égalité est portée par la devise du pays et nourrie par les pouvoirs publics ce qui produit une aspiration très forte. Au niveau des pays occidentaux, la France se situe plutôt dans une position moyenne avec plutôt moins de pauvres grâce à notre protection sociale. Mais comme l’analysait déjà Tocqueville en son temps, c’est aussi parce qu’on est proche qu’on se compare. Dans la société de caste indienne, les gens ne se comparent pas. Si on prend l’exemple des immigrés, ceux qui posent problème ne sont pas ceux qui sont invisibles ou esclavagisés mais ceux qui réclament leur place et un statut identique dans notre société. Le sentiment d’inégalité existe dans toutes les sociétés occidentales. Les enquêtes de comparaison internationale qui concluent au pessimisme des Français sont à prendre avec des pincettes car leurs méthodes ne sont pas toujours très fiables.
Dans votre rapport, on est frappé par le nombre important d’enfants touchés par la pauvreté.
C’est vrai, même si en fait, il n’y a pas d’enfants pauvres, il n’y a que des enfants de parents pauvres. Il y a un décalage complet entre l’attention médiatique portée aux enfants pauvres et le regard posé sur leurs parents. La pauvreté des enfants heurte notre système de valeurs mais c’est en s’attaquant aux difficultés des adultes qu’on peut y remédier. L’école doit jouer son rôle pour enrayer la reproduction des inégalités sociales, ce qu’elle ne réussit pas bien. Pour autant, je m’inscris en faux par rapport au discours ultra schématique tiré des enquêtes PISA ou du dernier rapport du CNESCO. L’école n’augmente pas les inégalités. Que fait un professeur des écoles tout au long d’une scolarité primaire qui coûte 6 000 euros par enfant à la nation ? Certes il sanctionne les inégalités en produisant des hiérarchies mais d’un autre côté, il forme, il émancipe les enfants de chômeurs, d’ouvriers, d’employés. Où en serait-on sans cela ? Ceci n’exclut pas une nécessaire évolution de l’école française, trop formaliste et qui a été massifiée sans être modernisée. C’est surtout l’esprit qui doit évoluer : on tire quelques uns par le haut alors qu’il faudrait pousser tout le monde.