Loisirs, un temps à préserver
Mis à jour le 24.05.24
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La scolarisation des loisirs mêle les notions de loisir et d'éducation.
La scolarisation des loisirs des enfants, qui s’est renforcée au sortir du Covid avec les « vacances apprenantes », est dans l’air d’un temps qui mêle les notions de loisir et d’éducation.
Alors qu’ils se définissent comme « un temps dont on peut librement disposer en dehors de ses occupations habituelles et des contraintes », les loisirs des enfants s’inspirent de plus en plus du modèle d’enseignement scolaire et visent des objectifs de réussite. Les colonies de vacances, les cours de théâtre, le conservatoire, l’entraînement sportif ou les « vacances apprenantes », s’ils répondent à une demande sociale et parentale, viennent aussi remettre en cause le droit, à l’ennui et au repos des enfants.
Education partagée
Historiquement, les temps de loisirs des enfants ont toujours constitué un tiers-lieu éducatif, aux côtés de l’école et de la famille. L’éducation est partagée entre plusieurs acteurs (parents d’élèves, associations agréées d’éducation populaire, services municipaux, institutions culturelles ou sportives locales…), sans relever exclusivement de l’école, ni des parents. Les liens sont anciens entre les pouvoirs publics (à l’époque les ministères de l’Éducation nationale et de la Jeunesse et des sports) et les mouvements de jeunesse et d’éducation populaire au sortir de la Deuxième guerre mondiale. Cependant, d’une co-gestion, ils sont passés à une forme de partenariat. Une complémentarité dont l’objectif est de contribuer à la réussite scolaire des enfants et des jeunes. L’école est le lieu de l’instruction et a été de tous temps, à côté de la famille, le lieu d’intégration et d’apprentissage de la vie en société. Après l’école de Jules Ferry, pour toutes et tous mais à deux voies, celle de la fabrication de l’élite et celle du peuple, l’école a porté la démocratie éducative à partir des années 1960. Si les loisirs collectifs des associations d’éducation populaire ont toujours été source d’apprentissages, à travers des formes souvent empruntées à l’éducation nouvelle, beaucoup d’organismes plus mercantiles se contentent de recouvrir leurs activités d’un vernis scolaire pour mieux répondre aux attentes des familles. La transmission des savoirs et des valeurs par des enseignantes et enseignants formés est primordiale. Pour autant, le modèle scolaire devrait-il toujours rester la norme dans les activités « non-formelles » ?
Inégalités
Si une partie des inégalités scolaires se construit dans l’école, une autre se construit en dehors. Certaines familles ont compris les enjeux de l’importance d’une éducation au sens large, voire en ont une vision utilisatrice. Dans un rapport de 2023 « Le droit des enfants aux loisirs, au sport et à la culture », la Défenseure des droits souligne que « la fréquentation de ces activités hors temps scolaire est corrélée au milieu social des enfants ». Le rapport fait état de différents freins à l’accès aux loisirs et aux activités artistiques, culturelles et sportives pour les familles qui en sont éloignées : le coût, le degré d’information et de connaissance des activités proposées, la complexité des démarches mais aussi des freins psychologiques qui transparaissent dans les choix des activités. Les activités extrascolaires sont ainsi « réinvesties par les parents de sorte qu’elles deviennent le lieu de certains apprentissages », parfois à des fi ns de performances sociales et scolaires valorisantes. Les politiques éducatives à l’œuvre, loin d’une réponse sociale, visent à déconsidérer les loisirs, voire à en priver certains dont l’oisiveté serait un danger pour la République.
ÉDUCATION POPULAIRE : VERS L’ÉMANCIPATION
Complémentaire de l’école, l’éducation populaire favorise l’émancipation de la personne, la participation citoyenne, l’engagement, le « vivre ensemble » à travers des actions, des démarches collectives permettant aux personnes d’acquérir les connaissances et le « savoir-être » dont ils ont besoin pour exercer leur droit démocratique dans la vie quotidienne. En ne séparant pas l’action et l’analyse, l’éducation populaire est directement liée aux pratiques d’autogestion. Il ne s’agit pas de transmettre ni d’éduquer le peuple mais d’accompagner la production d’une pensée critique, en partant de là où en sont les gens. L’accès pour toutes et tous à la culture, au sport, aux loisirs est fondamental puisque vecteur d’émancipation et contribuant à amener plus de justice sociale et plus d’égalité entre les individus. Par le jeu, les découvertes multiples, le partage et la culture, l’éducation populaire vise à donner les moyens aux enfants de comprendre le monde pour pouvoir le transformer.
Dorothée Boulogne est présidente des Ceméa, centres d'entraînement aux méthodes d'éducation active.
Comment veiller à ne pas scolariser les loisirs ?
La scolarisation des temps de loisirs s’est accentuée avec les « vacances apprenantes ». Elles ont eu du succès auprès des parents qui assimilent souvent le temps de loisirs à une perte de temps. Or, on apprend aussi pendant les vacances mais autrement et beaucoup d’activités et de jeux renforcent les compétences scolaires. Comme ce sont des temps non contraints, il faut être attentif à ce que l’enfant ait le choix, proposer des activités variées et lui laisser le temps pour découvrir les choses vers lesquelles il serait plus attiré. Les temps de vacances et les temps libres s’adaptent au rythme de l’enfant et favorisent l’expérimentation, l’agir et l’erreur. L’adulte est là pour accompagner, pour aider sans forcément transmettre un savoir. Le loisir éducatif est aussi du temps pour soi qui permet de renforcer l’estime de soi, l’idée d’essayer, de se construire. On est dans un cadre mais les contraintes ne sont pas les mêmes qu’à l’école. L’adulte aménage les lieux pour que les enfants puissent faire mais aussi « ne rien faire », car c’est important pour bien grandir.
Quelle complémentarité avec l'école ?
L’éducation est globale et complémentaire. Il y a le temps des loisirs, le temps de l’école et aussi celui de la famille. Les enfants s’éduquent aussi dans la rue avec leurs copains. Ne miser que sur l’école ne fonctionne pas parce que les enfants n’y passent pas tout leur temps et qu’elle n’a pas les moyens de tout faire. Il y a beaucoup de partenariats et on cherche parfois la continuité entre projets d’école et projets pédagogiques des temps libres. Mais le cadre, les objectifs et les contraintes ne sont pas les mêmes et doivent être complémentaires. Les enseignants sont chargés de livrer une instruction et un savoir conséquents avec l’évaluation des compétences que l’enfant a à acquérir. Lors des temps de loisirs, l’enfant va en maîtriser d’autres dont il a aussi besoin à l’école mais ce ne sont pas les objectifs des temps de loisirs. Ils visent le collectif et non les compétences individuelles de l’enfant. .
*Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active