Limiter l’emprise scolaire sur les destins

Mis à jour le 13.05.19

min de lecture

David Guilbaud, haut fonctionnaire, vient de publier L’Illusion méritocratique aux éditions Odile Jacob.

 David Guilbaud montre dans son dernier ouvrage qu'en dépit des dispositifs « d’égalité des chances » tout concourt à maintenir un statu quo inégalitaire dans le parcours scolaire.

Qu’entendez-vous par illusion méritocratique ?

David Guilbaud : Ça désigne le décalage entre la réalité inégalitaire du système scolaire et les discours qui le décrivent comme un jeu dont tous les participants peuvent sortir gagnants s’ils s’en donnent les moyens. Or on sait bien que statistiquement, les enfants issus de catégories défavorisées sortent perdants de ce jeu méritocratique. La méritocratie reste surtout un mode scolaire de reproduction sociale, et il faut montrer les effets pervers de cette mauvaise utilisation du terme de mérite. C’est d’autant plus important que notre société donne trop de place aux parcours scolaires dans les destins individuels, ce qui alimente une compétition scolaire dans laquelle les enfants issus des milieux aisés sont mieux armés. Autre effet pervers, ce discours renvoie à chaque individu la responsabilité de son destin social : s’il échoue, c’est parce qu’il n’a pas fait assez d’efforts ou, pire, qu’il manque de « talent ». La méritocratie est ainsi une illusion, qui sert à « blanchir » les avantages des catégories sociales dominantes et alimente la frustration des perdants du jeu qui sentent bien que les dés étaient pipés.

Quelle est la part de l’école ?

D.G. : Elle tente dans la mesure du possible de combler les inégalités d’origine, avec d’ailleurs des exemples de réussite. Mais elle valide aussi souvent, à travers des conseils d’orientation, les destins sociaux « objectifs » auxquels les individus étaient promis au regard de leur origine sociale. Cela se fait avec de bonnes intentions : on ne veut pas envoyer l’élève au casse-pipe, et on l’oriente vers des filières qui statistiquement correspondent mieux à son profil socio-économique. L’importance du rôle de l’école fait partie du problème : dans notre société, c’est quasiment exclusivement à elle que revient la tâche de combler les inégalités. Elle n’y parvient pas, et elle ne le peut probablement pas. L’objectif de réduire les inégalités ne peut reposer sur une seule institution. Il faudrait plutôt limiter l’emprise scolaire sur les destins des individus : aujourd’hui, les dés sont souvent jetés à 20 ou 30 ans. Au contraire, il faudrait développer davantage de voies ultérieures par la formation continue, des possibilités de changements d’orientation et de métiers.

La méritocratie s’oppose-t-elle au tous capable ?

D.G. : Le principe d’éducabilité reste pleinement valable. Mais telle qu’elle fonctionne, la méritocratie encourage les discours des « talents » et des « dons », qui contredisent ce principe. La notion de mérite est bonne sur un plan psychologique, mais elle ne peut pas être un principe de justice sociale, surtout lorsqu’on la réduit au seul mérite scolaire. Aujourd’hui, la méritocratie scolaire ne valorise que certains types de mérites et ignore énormément d’autres qualités qui n’en sont pas moins importantes. Et on ne peut pas non plus attendre de l’école qu’elle parvienne à valoriser tous les « mérites ».

Comment en terminer avec ce système de sélection des élites ?

D.G. : Dès lors que nos sociétés sont organisées selon des structures hiérarchisées, l’existence de personnes chargées de prendre des décisions est inévitable. Aujourd’hui, le premier problème est celui des inégalités d’accès à ces places d’élite : comment faire pour transformer les mécanismes de sélection pour les rendre plus égalitaires ? Dans le cas des concours, il faut notamment faire évoluer la composition des jurys pour introduire, par exemple, des jurys citoyens. Le deuxième problème, c’est celui des inégalités de valorisation matérielle et symbolique entre les différentes places sociales : les places d’«élite » sont survalorisées, et cela alimente un discours qui considère que la seule ambition légitime est de rejoindre cette « élite ». Les parents doivent bien prendre acte du fait que les filières les plus sélectives sont celles qui assureront à leur enfant la meilleure situation plus tard. L’enjeu, c’est donc de réfléchir collectivement et politiquement aux moyens de réduire considérablement les inégalités entre les places sociales. Or, on en est loin. propos recueillis par laurent bernardi.

Écrire à la rédaction

Merci de renseigner/corriger les éléments suivants :

  • votre prénom n'a pas été saisi correctement
  • votre nom n'a pas été saisi correctement
  • votre adresse email n'a pas été saisie correctement
  • le sujet n'a pas été saisi correctement
  • votre message n'a pas été saisi correctement

Merci de votre message, nous reviendrons vers vous dès que possible