Libérer la poésie
Mis à jour le 27.04.23
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La poésie essentielle pour l'émancipation et l'ouverture au monde de l'enfant.
Dire, lire, créer de la poésie à l’école : des pratiques qui trop souvent restent traditionnelles. Pourtant, la liberté qu’offre la poésie s’avère essentielle pour l’émancipation et l’ouverture au monde de l’enfant.
La poésie fait un retour en force dans la société. Lors de sa cérémonie d’investiture, Joe Biden a donné la parole à la jeune poétesse afro-américaine Amanda Gorman… En France, Arthur Teboul, le populaire leader du groupe de rock et pop « Feu ! Chatterton » compose des poèmes minute dans des cafés en écoutant des inconnus raconter des fragments de leur existence. Sur les étals des librairies, les recueils de poésie partent comme des petits pains et la création poétique est au cœur de pratiques culturelles en vogue comme le rap et le slam. Pourtant, même si le poète et pédagogue Jean-Pierre Siméon considère que « la création poétique et sa mise en voix doivent être au cœur de tout projet éducatif », la poésie sous ses diverses formes peine à franchir le seuil de la classe. D’abord, parce qu’un certain flou entoure cet enseignement qui fait pourtant partie intégrante des programmes. Souvent cantonnée à un exercice de mémorisation et d’expression orale sous forme de récitation, l’enseignement de la poésie ne donne pas toujours sa pleine mesure auprès des élèves. Les PE peuvent, en effet, parfois manquer de confiance et rester prisonniers d’une image faussée de la poésie, l’ayant eux-mêmes souvent abordée au cours de leur scolarité dans le cadre d’une approche plutôt classique et formaliste. Pourtant, la profession enseignante est consciente que la poésie participe à la construction de la sensibilité et de l’imaginaire de l’enfant, développe ses acquisitions linguistiques, lui offre une vision multiple du monde.
Faire partie du quotidien
« La poésie mobilise chez les élèves des compétences multiples comme savoir lire, écouter, oraliser, comprendre, produire de l’écrit, restituer ce que dit un texte poétique pour pouvoir le partager, donner son avis, avoir des débats d’interprétations… Enseigner la poésie offre un grand champ de liberté », indique notamment Sabine Contival, conseillère pédagogique en arts plastiques. « La poésie devrait faire partie du quotidien dans toutes les écoles, avec un poème par jour et pas seulement pendant le Printemps des poètes », considère Mélanie Leblanc, poétesse et marraine de l’édition 2023 d’École en poésie. « Elle peut être présente dans toutes les activités scolaires, de l’éducation physique et sportive aux mathématiques en passant par les arts plastiques, complète-t-elle. Il ne s’agit pas de faire de la poésie utilitariste mais de toujours convoquer les émotions, les sentiments, l’expression personnelle ».
S'autoriser à jouer avec les mots
Dans les classes, les PE impulsent de multiples approches du texte poétique et constatent à quel point les enfants sont sensibles à l’art d’assembler les mots pour leur donner un sens inhabituel. « Au départ, c’est rude et ils rient beaucoup, témoigne Anne-Catherine Leprat, enseignante en CE1-CE2 à l’école l’élémentaire Nicolas Leblanc de Bourges. Ils mettent du temps à s’autoriser à jouer avec les mots. Doucement, on trouve des inférences entre ce que l’on voit et ce que l’on ressent. Ce n’est pas un travail normé, mais plutôt une sorte de bain ». Un bain qui reste connecté aux apprentissages linguistiques. « Ils apprennent à observer et à manipuler les mots dans une démarche artistique pour exprimer leur pensée, poursuit l’enseignante. On travaille dans une balance entre l’écriture et le dire. La poésie est à transmettre, elle sera lue et il faut que cela soit compréhensible par rapport à ce que l’on veut exprimer ». Pour Eric Nigon, maître de CM1-CM2 et formateur à l’école Blanche Cavarrot de Reims, classée REP +, la poésie est abordée comme un espace de liberté, de création et d’échanges qui permet également de s’attaquer aux inégalités scolaires. « Pour ces enfants qui ne sont pas toujours de grands lecteurs, l’idée est d’avoir une approche sensible d’un texte, éloignée du scolaire qui les met trop souvent en difficulté », observe-t-il. Une approche qu’approuve Sabine Contival. « La compréhension et le ressenti d’un texte peut varier d’une personne à l’autre sans que cela soit un problème. Vouloir tout comprendre est un écueil à éviter, l’important n’est pas le sens mais ce que va y mettre chaque élève ».
Dépasser les frontières
Le « Printemps des poètes » a été conçu pour contrer les idées reçues et rendre manifeste l’extrême vitalité de la poésie en France. Cette manifestation a pris très vite une ampleur nationale, puis internationale, en sensibilisant les publics à la poésie sous toutes ses formes sur l’ensemble des territoires. Poètes et poétesses, maisons d’édition, personnels enseignants, bibliothécaires, élèves, associations ou encore simples lecteurs ou lectrices mais aussi le monde du spectacle, participent à diffuser et partager la poésie. Après l’ardeur, la beauté, le courage, le désir et l’éphémère, les frontières sont la thématique de la 25e édition 2023. Un choix réalisé par Sophie Nauleau, écrivaine, afin de « questionner ce monde qui rassemble, étonne, dépayse, plus qu’il ne sépare ».
Le sommaire du dossier :
- Partager la créativité : la poésie à l’école fait culture commune
- Jouer avec les mots : reportage à Bourges où la poésie c'est du pain quotidien
- Interview de Sabine Contival, conseillère pédagogique arts plastiques à Toulouse
- De bouche à oreille : reportage à Reims où la poésie est un espace de liberté, de création et d'échanges
- “La poésie nous relie” : interview de Mélanie Leblanc, poétesse et marraine 2023 d'"Ecole en poésie"