Les cultures à l'école
Mis à jour le 19.09.23
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Interview de Véronique Lemoine-Bresson qui interroge l'accueil des cultures à l'école.
Véronique Lemoine-Bresson est maîtresse de conférences en didactique des langues-cultures. Elle est co-autrice de « Les cultures à l’école », éditions Retz.
La culture, une notion polysémique ?
À la fin du XIXe siècle, la culture désigne les connaissances, les mœurs, les croyances... Mais rapidement, les anthropologues parlent non plus d’une culture mais de cultures. On s’attache alors à la manière dont chacun la réactualise et se construit par négociations régulières. Il est intéressant pour les enseignants d’interroger comment le terme est utilisé. Il existe souvent une tension entre attirance et rejet et il y a toujours ce risque de ce que l’on appelle une altérisation de l’autre, c’est-à-dire de considérer l’autre comme fondamentalement différent et de mettre une frontière symbolique entre lui, elle, et moi. Une distance qui renvoie tacitement à une forme de hiérarchisation. Par exemple, qu’est-ce que cela signifie quand j’oppose implicitement « ma culture » à « leur culture » ? Parfois, en creux, le terme peut renvoyer à une notion de race ou de religion. Il est également utilisé pour expliquer des comportements, positifs ou négatifs, dans une forme d’essentialisation. L’autre est catégorisé dans des « identités prison », dans une forme d’assignation à être, ou pas, niant la complexité et l’évolution du sujet.
Que signifie se déclarer ouvert aux autres cultures ?
D’une part, cela renvoie à des normes posées de façon autocentrée, dans une forme de condescendance. Cela implique une potentielle interdiction. La notion de tolérance porte ainsi une contradiction implicite. D’autre part, l’idée d’être ouvert à toutes les cultures interroge : peut-on accepter la culture du viol ou la culture nazie ? On ne peut pas se passer de se référer à la dignité humaine. Si on se place dans un contexte de droits humains, la question de tolérer n’a pas lieu d’être.
Quelles activités à l'école pour découvrir les cultures ?
L’activité doit se trouver au bout d’un processus. Il est important de réfléchir en amont, seul et en équipe, sur le pourquoi et le « pour quoi » de la démarche. Quels objectifs, quelles valeurs vont sous-tendre l’activité ? Les enseignants ressentent qu’il est important de prendre en compte tous les enfants, mais faute de temps et de formation, ne sont pas forcément au clair. Une fois que l’on a cerné les enjeux, on peut interroger les espaces, les disciplines qui peuvent accueillir une réflexion sur les cultures. Le travail en école peut aussi permettre d’avoir une portée de fond et de dépasser une activité ponctuelle. Faire par exemple que le lien avec les parents soit une collaboration régulière au-delà de la fête de l’école… On peut se saisir, pour se lancer, des semaines des langues ou contre le racisme. Mais cela reste d’abord une manière d’être et d’agir dans sa classe.
Comment aborder la diversité linguistique ?
Sur ce point-là aussi, l’enjeu est d’avoir un préalable réflexif. Il faut partir du fait que l’accueil des diversités linguistiques est un droit dans la convention des Nations Unies. D’abord sortir de la représentation que la langue d’origine serait un déficit pour l’apprentissage du français. Au contraire, se dire que même si on ne sait pas forcément l’utiliser, c’est une ressource et non un obstacle. Ensuite, on peut objectiver le travail en se demandant par exemple si on rend tous les langages des enfants visibles, si la communication avec les familles est favorisée dans leur langue, si tous les répertoires linguistiques sont encouragés, y compris les dialectes… Tracer un diagnostic et des perspectives avant de commencer.
Diversité ne rime pas forcément avec égalité ?
La diversité est une réalité qui est mise en tension avec celle d’égalité. Il existe à la fois un risque d’une indifférence aux différences et à la fois celui d’une survalorisation de la diversité qui ne mettrait en avant que les différences. Il importe de réfléchir dans une dialectique, de ne pas être figé dans une approche binaire. Il s’agit bien d’interculturalité, de négociations et de renégociations, de construire des cultures personnelles par le contact avec les pensées et cultures des autres. Il est difficile mais nécessaire de faire des aller-retours pour créer une nouvelle façon de voir, de faire. C’est finalement une mise en place d’équité pour tendre vers l’idéal d’égalité.