Lecture : suivre le guide?
Mis à jour le 30.05.18
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Processus complexe, la lecture ne peut se réduire au simple décodage.
Sommaire du dossier
- Un rappel de la querelle des méthodes de lecture
- un reportage sur la réalité de l'apprentissage en classe, avec un travail sur le code, sur le sens
- l'interview de Caroline Viriot-Goeldel, "Ne négliger aucune entrée"
- Un reportage sur l'importance d'écrire avant même de savoir lire
- l'interview de Roland Goigoux sur le guide du ministère, "Une apologie de la méthode syllabique radicale".
L'ensemble du dossier ici:
Présentation générale du dossier
Au milieu des années 1960 les citoyens chinois se sont vu offrir Le petit livre rouge, recueil des pensées de Mao Tse-Toung censé les éclairer en toutes circonstances. Désormais, les enseignantes et les enseignants de CP français vont, eux, pouvoir disposer d’un petit guide orange pour apprendre à lire et à écrire à leurs élèves. Jean-Michel Blanquer l’a présenté le 26 avril dans un entretien au Parisien, avant-même d’en parler aux enseignants. Le ministre de l’Éducation nationale a lancé quelques formules qui disent la considération dans laquelle il les tient. "La liberté pédagogique n'a jamais été l'anarchisme pédagogique", a-t-il notamment déclaré avant de préciser sa pensée : "entre quelque chose qui ne marche pas - la méthode globale - et quelque chose qui fonctionne - la syllabique - il ne peut y avoir de compromis mixte".
Son but, imposer la seule utilisation de la méthode syllabique en CP. Mais ce texte édité en dehors des programmes est surtout l’expression d’une méconnaissance de la vraie vie dans les classes. Dans leur grande majorité, les PE utilisent une méthode dite "mixte" combinant une approche visuelle des mots et l’apprentissage des liens graphèmes-phonèmes.
Contrairement à ce que laisse entendre le ministre, il ne se fait pas n’importe quoi dans les classes de CP. Pour faire réussir les élèves, les enseignants doivent adapter leurs pratiques aux besoins de ces derniers. L’apprentissage de la lecture est un phénomène complexe dans lequel interviennent de nombreux paramètres. « Beaucoup d’enfants ont des difficultés avec l’oral dans la compréhension ou l’expression. Ces difficultés de langage font que lorsqu’ils déchiffrent certains mots, cela ne fait pas écho chez eux », témoigne Catherine Collin de l’école de l’Ouest à Dijon. Caroline Virit-Gœldel, universitaire enseignant à l’Espé de Créteil, estime que les origines socio-culturelles des enfants sont aussi à prendre en compte. « Les élèves issus de milieux défavorisés ont parfois un rapport au langage et à l’écrit qui fait obstacle à l’apprentissage de la lecture. Ils ont aussi en moyenne des compétences langagières moindres, comme par exemple un lexique plus restreint », dit-elle. L’usage exclusif de la méthode syllabique peut-il apporter un peu plus de chance de réussir à ces élèves ? La dernière étude PIRLS 2016 réalisée auprès des élèves de CM1 souligne que les jeunes Français ont des difficultés non pas à « décoder », mais à comprendre les textes lus. Les injonctions de Jean-Michel Blanquer n’apportent aucune réponse et ne vont pas dans le sens d’une réduction des inégalités.
Pour justifier le recours à la syllabique, le ministre prétend s’appuyer sur la recherche, mais quelle recherche ? La syllabique était encouragée dans les programmes de 2008. Si les résultats avaient été positifs ça aurait dû se percevoir dans les résultats de PIRLS ! Roland Goigoux, spécialiste de l’apprentissage de la lecture, estime que le texte du guide « comporte de nombreux oublis, par exemple sur l’écriture et la compréhension, et il est erroné sur plusieurs points. Ses rédacteurs convertissent imprudemment de simples hypothèses de recherche en recommandations. Le cas le plus flagrant est celui de la méthode syllabique radicale dont personne n’a prouvé la validité. C’est un peu comme si le ministère de la santé recommandait un médicament avant d’en avoir testé les effets ». Le guide passe un peu vite sur le travail de compréhension orale, écrite, la mise en projets des élèves pour donner un sens aux écrits. Il ignore aussi le lien indispensable entre encodage et décodage, préconisé notamment à l’issue de la conférence de consensus du CNESCO de 2016 et que mettent en pratique de nombreux enseignants, comme Sophie Caillon, PE à l’école Marceau Courrier à Saint-Pierre des Corps en Indre-et-Loire
Bref, le ministre continue de jouer sa partition en solo et, sa petite musique mettant en cause les enseignants, distille de la défiance entre les familles et l’école, alors qu’une confiance réciproque est un gage de réussite de tous les élèves. Pour lui, la responsabilité de l’échec scolaire reposerait sur les seuls enseignants qui n’auraient qu’à choisir la bonne méthode pour faire réussir leurs élèves. Il tente de déclencher une guerre entre des méthodes d’apprentissage mais ce n’est pas un sujet pour les maîtres et maîtresses. Un parti-pris idéologique, pour flatter les nostalgiques d’un pseudo âge d’or de l’école qui n’a jamais existé, car c’est un leurre de laisser croire qu’il existe une méthode ou un manuel qui serait magique et qui, à lui tout seul, profiterait à tous les élèves.
Enseigner à lire et écrire, processus complexe, pourrait-il se réduire à une application de recommandations et d’exercices systématiques ? On peut supposer à l’inverse qu’être professeurs des écoles nécessite une solide formation professionnelle. C’est en tout cas ce que pense le SNUipp-FSU mais aussi 24 universitaires signataires d’une tribune dans Libération intitulée 'Formations : de quels enseignants avons-nous besoin ?' Ils dénoncent une formation initiale diminuée à deux années, insuffisante pour s’approprier les savoirs nécessaires au métier et s’inquiètent d’une formation continue à venir réduite à une simple transmission de manuels et de méthode unique. Selon eux, « nous avons besoin d’enseignants libres, auteurs et responsables de leur choix pédagogiques et didactiques.»