“Le livre est un vecteur extraordinaire de relations”

Mis à jour le 30.08.24

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Interview de Joëlle Turin, médiatrice et critique de littérature jeunesse

Joëlle Turin, médiatrice et critique de littérature jeunesse, formatrice à Actions culturelles contre les exclusions et les ségrégations (Access), autrice de « Petits enfants, grands lecteurs”.

Joëlle Turin

QU’APPORTE LA LITTÉRATURE JEUNESSE AUX ENFANTS ?

JOËLLE TURIN : Lire des albums, c’est d’abord prendre conscience des pouvoirs, de la magie de la langue : sa musicalité, sa prosodie, sa richesse, sa différence avec la langue parlée… C’est le plaisir des mots, de la découverte de vocabulaire inconnu, le goût pour les temps du récit. Les enfants mémorisent très vite des mots jamais entendus et s’amusent à employer le passé simple ! Les textes ont été écrits en pensant à cette oralisation, lire un livre commence par cette langue portée par la voix de quelqu’un. Mais lire un album, c’est prendre conscience que l’image aussi est un langage : elle raconte, joue avec le texte, le complète, parfois même le contredit. C’est également prendre conscience que l’illustration est un art, loin d’une simple illustration de l'histoire. Enfin, cette littérature est une ouverture fabuleuse au monde, dans un double mouvement : découvrir l’autre, l’ailleurs, et se questionner soi-même. C’est à la fois adopter d’autres points de vue et percevoir une dimension universelle. On se retrouve, on se projette dans les personnages, les situations. Il existe ce plaisir des représentations qui induisent d’autres représentations mentales. Les liens, les rapprochements que les enfants opèrent spontanément avec leur vécu, leurs expériences, mais aussi avec d’autres albums différents ou semblables.

QUELLE EST SA DIVERSITÉ AUJOURD’HUI ?

J.T. : Sa diversité tient principalement au fait qu’elle aborde tous les sujets. Non pour prétendre donner des vérités, apporter des solutions ou distribuer des leçons mais pour nourrir la pensée selon des modalités différentes : genres, discours, dialogues… Les libertés y sont plus importantes qu’autrefois, avec une autorisation à jouer avec les mots dans une relation de complicité avec le lecteur. Tout cela repose sur une confiance donnée à l’enfant. Ne pas le laisser dans des pensées conventionnelles mais l’ouvrir à l’imaginaire, à une créativité grâce à des propositions multiples, des contextes différents. De même, il existe une diversité des supports, des variations de techniques, de formats, de papiers, de motifs, de surprises, de l’objet livre lui-même.

“C’est à la fois adopter d’autres points de vue et percevoir une dimension universelle.”

LA LITTÉRATURE JEUNESSE EST-ELLE ACCESSIBLE À TOUTES ET TOUS ?

J.T. : Selon moi, la littérature est accessible à tout le monde à condition qu’on la transmette grâce à une lecture à voix haute et à condition d’offrir aux jeunes lecteurs le temps de se l’approprier par des relectures, des répétitions. À condition aussi qu’on n’exige pas d’emblée des enfants un comportement figé, une explication unique ou une interprétation conforme à celle des adultes. Accepter qu’il puisse y avoir des entrées différentes, se dire que nous n’en percevons, n’en retenons pas tous la même chose. Effectivement, il y a des milieux, des familles où on n’utilise quasiment qu’une « langue du quotidien ». Tout le monde n’a pas la possibilité d’avoir à la maison des personnes qui lisent à voix haute ou qui sont disponibles mais ce n’est pas la littérature qui est en cause, ce sont les modalités d’approches. C’est pourquoi des associations et les enseignants œuvrent, dans des champs différents, pour réduire ces inégalités, dans un enthousiasme commun à faire partager cette culture. Leur rôle, en complémentarité, est fondamental.

COMMENT PARTAGER CE BONHEUR DE LIRE ?

J.T. : Il s’agit de manifester à la fois le plaisir de l’histoire et le plaisir de la partager. Le livre est un vecteur extraordinaire de relations, de rapprochements, entre enfants, entre enfants et adultes, entre lecteurs et personnages… Il est un déplacement, une réalité qui prend diverses apparences que l’on retrouve dans le récit des expériences ou des ressentis des enfants. En les laissant s’exprimer librement et en gardant notre regard sur leur émerveillement, on fait de la lecture un moment de fête. Qui peut, par ailleurs, être aussi un moment d’intimité. Partager des lectures, celles que l’on aime, celles que l’on a choisies avec soin pour leurs qualités artistiques, leur art, leur problématisation ou leur manière de raconter. Les lire en les habitant, en les incorporant pour en faire ressentir leur vitalité, leur beauté.

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