"La tentation du palmarès"

Mis à jour le 03.10.18

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Olivier Rey, chargé de recherche à l'IFÉ, répond sur ces tests

Olivier Rey est ingénieur de recherche à l’École normale supérieure de Lyon, il est responsable à l’unité Veille & Analyses de l’Institut français de l’éducation.

QUE PEUVENT APPORTER DES éVALUATIONS NATIONALES ?

OLIVIER REY : Les évaluations externes standardisées apportent une vision qui dépasse l’aire locale et peuvent, sous certaines conditions, faire prendre conscience aux enseignants des écarts existants entre les performances, les acquis de leurs élèves et ce qui est attendu au niveau général. Cela peut permettre de lutter contre cet effet qui consiste parfois à abaisser ses attentes, dans un souci naturel et compréhensif de ne pas créer des situations compliquées ou laisser ses élèves en grand échec. Il peut être intéressant de rappeler l’objectif que l’on donne à une classe d’âge, à un niveau du système éducatif, quelles que soient les spécificités locales. Ces évaluations peuvent également aider, notamment lorsqu’elles sont élaborées par des spécialistes de la DEPP*, à spécifier les difficultés particulières des élèves et outiller les enseignants pour les qualifier précisément.

ONT-ELLES DES LIMITES ?

O.R. : Oui, lorsque ces évaluations ne sont pas réellement articulées avec la formation initiale et continue des enseignants. Lorsque les difficultés qu’elles vont pointer, qui appellent des remédiations, ne correspondent pas aux moyens et aux outils dont disposent les enseignants pour les mettre en œuvre. Ça reste alors un instrument pour accuser une faiblesse sans avoir les moyens de la corriger. Indiquer un objectif sans donner les moyens de l’atteindre est forcément contre-productif. Et puis toute situation d’évaluation produit du stress, c’est un acquis robuste de la psychologie sociale et cognitive, et ce stress affecte les performances des élèves. Cela ne veut pas dire qu’il faut s’en passer, mais il faut en être conscient et cela pose la question de la multiplication des évaluations. De plus elles mobilisent des moyens, du temps, de l’énergie… Pense-t-on vraiment que les professeurs des écoles vont disposer d’informations dont ils ne disposaient pas jusque-là ? On se rend compte qu’ils en prélèvent déjà énormément par l’observation et l’activité quotidienne de la classe. N’y-a-t-il pas un risque de redondance ou d’abandon des prélèvements par observation ? Cela ne va-t-il pas pousser les enseignants à une forme de passivité sur cette question ? Enfin on sait que les évaluations sont forcément rendues publiques à un moment donné et la tentation du palmarès devient alors inévitable.

Le contenu des évaluations envoie un signal, hiérarchise les apprentissages et impacte fortement le déroulement des enseignements.

QUEL IMPACT SUR LES APPRENTISSAGES ?

O.R. : Dès qu’il y a une évaluation, les élèves comme les enseignants tendent à cibler, à orienter leurs efforts vers les points qui vont être évalués. Or l’évaluation n’évalue pas tout d’une séquence d’apprentissage, soit parce qu’on ne sélectionne que les éléments considérés comme plus importants, soit parce que certaines compétences sont plus faciles à mesurer. Difficile par exemple de graduer des comportements scolaires. Le contenu des évaluations envoie un signal, hiérarchise les apprentissages et impacte fortement le déroulement des enseignements. Aussi, même inconsciemment, les enseignants vont orienter leurs enseignements en fonction des évaluations qui se déroulent cette année. C’est bien un des objectifs de ces évaluations d’ailleurs. Le fait que des laboratoires de neurologie ou de statistique deviennent par endroits les lieux dominants de l’autorité pédagogique est doublement problématique : pour les professeurs traités comme des ignorants, et pour leurs élèves dont les difficultés deviennent fréquemment naturalisées. Moins nous disposerons d’expertise didactique et pédagogique pour identifier les variables culturelles et sociales à l’œuvre dans l’éducation, plus la technocratie prendra de l’ampleur. En somme, moins l’enseignement se régule lui-même, plus on le régule quand même, mais de l’extérieur.

L’éVALUATION PEUT-ELLE DEVENIR UN LEVIER POUR MIEUX FAIRE APPRENDRE ?

O.R. : L’évaluation fait partie du répertoire des gestes professionnels des enseignants qui leur permet de prélever des informations sur les apprentissages en cours. Le temps entre le prélèvement et la mise en place des adaptations pédagogiques doit être le plus court possible et c’est pour cela que les enseignants doivent garder la main sur l’outil. Celui-ci doit aller de pair avec les ressources qui permettent d’agir. Si l’enseignant n’a pas la moindre idée de comment aider l’élève, c’est pire que tout. Le constat d’impuissance démobilise.
Enfin l’évaluation gagne à être un élément du collectif car il est rare qu’à l’échelle d’un individu on maîtrise les ressources pour prendre en compte tous les besoins d’un élève. Avoir une vision globale, pluridisciplinaire de l’élève reste le plus utile. L’évaluation ce n’est pas seulement l’élève seul face au professeur seul, même si parfois c’est nécessaire. Elle reste alors une forme de facilité cognitive dans une situation beaucoup plus complexe et difficile. On cherche à isoler mais il faut garder conscience de sa situation relative.

* Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance

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