“La laïcité est nécessaire...”

Mis à jour le 11.11.20

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Farhad Khosrokhavar juge la laïcité nécessaire pour une société moderne et démocratique

Farhad Khosrokhavar, sociologue, directeur d’études émérite à l’École des hautes études en sciences sociales.

Farhad Khosrokhavar

On parle de radicalisation en France, qu’est-ce que cela signifie ?

La radicalisation est la conjonction d’une idéologie radicale et d’une action violente par une minorité de personnes pour imposer une vision religieuse ou idéologique à la société. On fait le constat que plus de 90% des formes de radicalisation ont été le fait d’une version extrémiste de l’islam. Ces radicalisations concernent une infime minorité de musulmans en France et en Europe qui pensent ne pouvoir faire entendre leur voix que par la violence et non pas par les mécanismes institutionnels et démocratiques.

La radicalisation en France est-elle similaire à celle des autres pays européens ?

La comparaison avec les autres pays européens montre qu’il y a davantage de radicalisés en France. De la même manière, lorsqu’on regarde le nombre d’attaques terroristes en Europe, la France se taille la part du lion. Il y a donc une spécificité française.

Comment cela s’explique-t-il ?

En France, la laïcité est historiquement une manière de gérer les relations entre l’État et la société, à savoir que l’État est laïque et qu’en son sein les religions n’interviennent pas. De même, l’État impose à la société le respect des croyances, c’est-à-dire que vous pouvez croire à ce que vous voulez mais il ne faut pas que votre croyance empiète sur celle des autres et/ou empêche les autres d’exercer leur liberté religieuse ou idéologique. C’est ce que j’appelle la version sereine de la laïcité. Une autre version de la laïcité existe et domine actuellement en France. Une laïcité qui cherche à gérer mais aussi à imposer, voire encourager une vision du religieux comme quelque chose de problématique. Les nombreuses polémiques sur le foulard qui ont pour but de le retirer de tout espace public sont emblématiques de cette nouvelle forme de laïcité. À cela s’ajoute le passé colonial de la France. Un certain nombre de musulmans ont le sentiment que l’humiliation perdure et qu’ils sont stigmatisés sous une forme ou une autre. Il y a aussi la question des banlieues où la ségrégation existe. ­L’exclusion économique et le sentiment de rejet font que souvent c’est dans les quartiers difficiles que des jeunes sont séduits par les formes radicales de ­l’islam. Les fondamentalismes imposent leur discours et affirment que la France est contre l’islam, que la société les rejette.

“La solution n’est pas dans de nouvelles lois coercitives, répressives
mais dans le dialogue social et surtout dans une sorte de tempérance vis-à-vis des problèmes liés à la religion.”

La défense de la laïcité est-elle suffisante pour maintenir le vivre ensemble ?

La laïcité modérée, tempérée oui. Elle consiste à reconnaître la neutralité de l’État qui fait respecter le droit pour toutes les religions à une expression modérée dans l’espace public. La laïcité est nécessaire pour une société moderne et démocratique. Mais pas une laïcité qui se transforme en religion civile, intervient pour interdire le voile ou le foulard, dénoncer l’islam qui serait contre la liberté et l’égalité du genre. La solution n’est pas dans de nouvelles lois coercitives, répressives mais dans le dialogue social et surtout dans la tempérance vis-à-vis des problèmes liés à la religion.

L’État est-il le seul rempart contre les atteintes au pacte républicain (liberté, égalité, fraternité) ?

L’État doit être le garant de la laïcité. C’est l’État qui doit être laïque et non pas la société. Il faut associer étroitement les citoyens musulmans à la lutte contre la radicalisation et cesser de dénoncer les insignes religieux. Il faut reconnaître la légitimité du foulard individuel pour pouvoir l’opposer à celui du foulard fondamentaliste. Reconnaître la légitimité de l’islam modéré pour pouvoir lutter plus efficacement contre l’islam radical. Il faut rendre possible la coopération de jeunes filles ou femmes portant le foulard et qui sont républicaines dans leur comportement quotidien, qui sont pour l’égalité de genre, contre le prosélytisme, contre la polygamie, bref qui sont des citoyennes modernes. Un autre levier à actionner est de promouvoir de nouvelles utopies. En Europe autrefois, il y avait les utopies républicaine, socialiste ou communiste qui donnaient un sens à l’existence projetée dans l’avenir. Toutes ces utopies se sont usées et ne sont plus convaincantes. L’écologie, le néo- féminisme sont de nouvelles utopies qu’il faut promouvoir pour fédérer et donner du sens au vivre ensemble.

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