La complexité et la diversité sont les caractéristiques du passé français
Mis à jour le 16.07.17
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Alors que l'enseignement de l'histoire fait à nouveau polémique, Fenêtres sur cours a rencontré Florian Mazel*, professeur à l'université de Rennes 2, qui a coordonné l'ouvrage « Histoire mondiale de la France ». Interview
Quels principes ont guidé l'élaboration d'Histoire mondiale de la France ?
La première idée, c'est d'emprunter un cadre classique qui est celui de l'Histoire de France abordée chronologiquement tout en confiant la rédaction à des historiens professionnels. Nous avons fait le pari du récit et de l'accessibilité avec des textes assez courts qui peuvent revêtir des formes originales selon la liberté accordée à leurs auteurs. Un autre principe a été de ne pas gommer la discontinuité de l'histoire même si on peut reconstituer des liens ensuite par le jeu de correspondances multiples entre les textes. Nous avons aussi cherché à assumer, à travers les 144 dates abordées et les 122 contributeurs, la dimension collective de l'écriture de l'Histoire qui ne peut plus aujourd'hui relever d'une seule personne. Enfin le fil conducteur du livre, c'est le primat de l'interaction entre la France et le Monde avec une Histoire de France, non pas autocentrée et recroquevillée sur son territoire, mais guidée par l'idée que l'identité nationale, notion complexe et ouverte, s'est construite en interaction avec le Monde.
Le livre a vite rencontré de nombreux lecteurs. Comment analysez-vous cet engouement ?
Cet accueil nous a aussi surpris. Le premier tirage a été épuisé en deux jours et le succès public excède largement la sphère traditionnelle d'un tel ouvrage limitée aux étudiants et professeurs du secondaire. Il y a un effet de conjoncture avec la campagne électorale et les polémiques récentes à propos des Gaulois et de l'enseignement de l'Histoire. Mais Il y aussi une passion française pour l'Histoire. Celle-ci tient à la place qui lui est accordée dans l'idéologie républicaine. Sans doute aussi à l'importance dans notre pays du patrimoine matériel, architectural et artistique et de tout ce qui fait la culture française. Les polémiques politiques qui ont essayé depuis une dizaine d'années d'instrumentaliser l'Histoire à des fins identitaires ont avivé cette passion en exploitant l'inquiétude actuelle suscitée par l'intégration européenne, la confrontation vécue avec le radicalisme islamique et la question des migrants. Une préoccupation liée au contexte politique qui rencontre un substrat plus ancien. Tout cela fait de l'Histoire un élément fondamental de l'identité nationale, politique et républicaine.
Que pensez- vous de la volonté exprimée par certains de réhabiliter un « récit national » ?
C'est un débat central. Est-ce que l'Histoire doit contribuer à la fabrique d'une communauté nationale et avoir un rôle civique ? Notre réponse dans l'équipe est plutôt oui, sous réserve de ne pas tomber dans une approche simplificatrice et souvent rétrospective des contenus, n'hésitant pas à les reconstruire en fonction de notre nostalgie ou de nos désirs actuels. Le livre donne plutôt à voir la complexité, la diversité, jusqu'à l'inattendu et l'accident qui sont les caractéristiques du passé français. Si on ne peut nier un rapport singulier de la France au Monde depuis le XIIIe siècle, il faut aussi appréhender sa diversité culturelle, territoriale et ethnique. L'Alsace, par exemple, n'est française que depuis le XVIIe siècle, elle a toujours une culture germanique, une relation particulière entre la religion et l'État qui étonnamment ne posent aucun problème aux identitaires contemporains.
Comment commencer à enseigner l'Histoire à l'école primaire ?
J'ai une vision hétérodoxe qui n'apparaîtra pas forcément légitime. Une chose m'apparaît fondamentale, c'est le développement de la curiosité. À ce titre l'altérité, l'exotisme, le dépaysement avec l'ouverture à des passés ou des espaces très lointains, accrochent très bien les enfants. Ce serait dommage, par exemple, de se priver de l'étude de la Préhistoire qui pose des vraies questions avec l'apparition de l'art, des écarts sociaux, de la violence, les problèmes de subsistance, de partage des biens qui ont des résonances contemporaines. Tout comme les civilisations antiques. L'Égypte fascine les plus jeunes avec son culte des défunts. Une autre entrée accessible est celle du patrimoine et de l'environnement proche, que les bâtiments soient anciens ou même plus modernes comme le patrimoine industriel récent. La généalogie permet aussi de s'intéresser aux mouvements de population et aux transformations culturelles. Notre ouvrage montre aussi qu'on peut entrer par la petite histoire, l'événement pour se raccrocher ensuite à des thématiques plus générales, voire universelles. La peste noire, par exemple, permet de déboucher sur la crise de la fin du Moyen Âge, puis sur les crises de société en général avec la maladie, la famine, la guerre…
*Florian Mazel est professeur d'histoire médiévale à l'université de Rennes 2. Membre de l'Institut universitaire de France, il vient de coordonner l'ouvrage réalisé sous la direction de Patrick Boucheron « Histoire mondiale de la France » (Seuil, 2017) qui remporte un important succès de librairie.