“L’écriture...pour penser le monde”

Mis à jour le 06.10.21

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Interview de Danielle Alexandre autrice d'ouvrages sur l'enseignement de l'écriture

Danielle Alexandre est co-autrice de « Refonder l’enseignement de l’écriture» Retz 2014 (direction Dominique Bucheton) et de « Anthologie des textes clés en pédagogie» ESF réédition prévue 2022

“L’écriture est le plus puissant des moyens pour organiser et penser le monde”

Dossier 477 danielle Alexandre

Qu'est-ce qu'écrire ?  

Quand on pose la question aux enseignants, d’emblée la majorité évoque les normes : une syntaxe correcte, une orthographe pertinente… Or c’est l’arbre qui cache la forêt. Écrire est une activité complexe qui met en jeu la personne qui écrit et les représentations qu’elle se fait des attentes concernant cet écrit ainsi que des connaissances de tous ordres. Parmi celles-ci, les acquis sur la langue ne sont que la partie visible de l’iceberg. Lorsqu’il s’agit d’écrits scolaires, tous ces pôles sont fragiles, problématiques et imbriqués. On apprend à écrire en écrivant, exactement comme on apprend à nager en s’entraînant dans l’eau avec tâtonnements et ratés indispensables. Or, on n’écrit pas assez à l’école, on copie et recopie beaucoup, on fait des exercices « applicationnistes » mais quand pense-t-on par écrit ? On peut se poser cette question simple chaque jour : aujourd’hui mes élèves ont-ils eu l’occasion d’écrire ne serait-ce qu’une ligne de pensée autonome ? 

Quels sont les obstacles pour l'enfant ? 

À l’école, celui qui écrit est un élève mais aussi une personne en construction. Il faut à la fois encourager sa créativité, l’expression des émotions, l’affirmation d’un jugement personnel par exemple en français et à l’opposé l’objectivité des écrits à visée scientifique. Cet ajustement de l’énonciation conforme aux exigences de chaque discipline prend des années, se poursuit jusqu’au lycée et même au-delà. Écrire mobilise aussi des connaissances d’origine très diverses, il faut puiser au bon moment le ou les savoirs pertinents. Or, les savoirs scolaires en cours d’acquisition sont fragiles, difficiles à manier et souvent conflictuels par rapport à ce que l’enfant sait déjà. Il faut aussi mobiliser syntaxe et orthographe correctes. Alors forcément toutes sortes de télescopages et ratages se produisent, c’est normal ! 

Des leviers possibles ?

Dès le cycle 1, la dictée à l’adulte permet d’enclencher le processus. Du CP au lycée, « les écrits de travail », écrits provisoires qui ne sont pas destinés à être évalués, sont un précieux levier. Il s’agit de donner l’occasion le plus souvent possible de mettre en mots à l’écrit sa propre pensée, prendre le risque d’utiliser des mots mal maîtrisés, être autorisé au tâtonnement : « Qu’as-tu compris ? Qu’en penses-tu ? que sais-tu déjà sur ce qu’on va étudier ? Comment résoudre ce problème ? Qu’est-ce que tu as aimé (ou pas) dans cette histoire ? ». Ensuite, on discute et on réfléchit sur ces écrits, avec d’autres élèves de la classe (en binôme, en groupe) pour les faire évoluer, les épaissir d’apports nés des échanges, sans passer par la case évaluation dévoreuse de temps et réservée à certains écrits aboutis. Parler sur ce qu’on a écrit afin que l’autre comprenne et bénéficie d’un lecteur qui reformule autrement permet aussi de réduire les dysfonctionnements syntaxiques. Beaucoup d’élèves grandissent dans un bain de langue loin des standards attendus à l’école. Multiplier les occasions de manier la langue, de s’imprégner de formes syntaxiques adaptées ne passe pas seulement par des leçons de grammaire, l’hétérogénéité des élèves est ici un atout. Quant à l’orthographe, sa complexité et la dépense d’énergie sont telles qu’il est efficace de différer la révision orthographique sur l’écrit final. En revanche, cette phase doit être systématique, incompressible, tout écrit destiné à être lu respecte l’orthographe. C’est à l’école d’installer ce geste social qui s’effrite. 

Quels sont les enjeux à l'école ?  

L’écriture est le plus puissant des moyens pour organiser et penser le monde. L’oral autorise les bribes, des fragments de pensée, des imprécisions, des ruptures, effacés à peine prononcés. Seul l’écrit permet de mettre en ordre la pensée, d’en traquer les failles, de revenir en arrière pour faire évoluer un propos. Les écrits scolaires sont ces lieux où l’on apprend à construire une pensée ordonnée et un rapport exigeant au monde, à l’opposé des codes des réseaux sociaux et nombreux médias où tout est permis et où tout se vaut. Si l’école ne joue pas à fond ce rôle, elle prive les enfants de cet instrument d’émancipation supérieur irremplaçable. Un risque énorme pour la démocratie !

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