Il faut visibiliser les luttes"

Mis à jour le 20.01.21

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Interview de Vanessa Codaccioni qui démonte la mécanique des répressions politiques

Vanessa Codaccioni est historienne, politiste et maîtresse de conférences à l’université Paris VIII. Ses derniers ouvrages sont Répression : L’État face aux contestations politiques, paru en 2019 aux éditions Textuel et La société de vigilance-Auto-surveillance, délation et haines sécuritaires, qui vient de sortir chez le même éditeur.  La politiste y démonte la mécanique des répressions politiques en France et dénonce l’institutionnalisation de la surveillance mutuelle.

Vanessa Codaccioni

Une justice d'exception et l'état d'urgence représentent-ils des dangers pour la démocratie ? 

Bien sûr, car l’un et l’autre entraînent des mesures dérogatoires au droit commun, des mesures d’exception, plus attentatoires aux libertés individuelles, moins respectueuses des droits. Le principal danger est que ces dispositifs durent dans le temps. Cela a été le cas par exemple avec l’état d’urgence dû aux attentats de 2015, qui a perduré deux ans jusqu’à figurer dans la loi en 2017. L’état d’urgence et la justice d’exception entraînent une répression de certains groupes, voire de la société, et l’un des dangers est leur banalisation. En devenant ordinaires, ils vont toucher de plus en plus de personnes et dévier de leur objectif initial. Comme lorsque l’état d’urgence pour lutter contre le terrorisme a été appliqué à des militants écologistes en 2015.

La loi sécurité globale s'inscrit-elle dans une vision sécuritaire de la démocratie ?

La loi sécurité globale s’inscrit dans deux mouvements. D’un côté, il y a un renforcement de la répression et un accroissement du pouvoir de surveillance intrusif de l’État, avec l’utilisation de drones ou de caméras piétonnes par la police. Et de l’autre côté, le pouvoir veut empêcher les citoyens d’exercer leur droit de vigilance et de contrôle de ses agents. On veut ainsi invisibiliser les interventions policières et donc la répression.
Il y a un renforcement de la répression du militantisme qui s’inscrit véritablement dans une histoire française de volonté d’annihilation des contestations.

Comment l'activisme oppositionnel est-il traité ? 

Dès la fin du 19e siècle, le militantisme anarchiste va être traité comme une forme de terrorisme avec la création du délit d’association de malfaiteurs qui représente au moins 80% des affaires terroristes aujourd’hui. Progressivement, des outils se sont mis en place pour assimiler terrorisme et militantisme. Par exemple, la Cour de sûreté de l’État, créée en 1963, a visé les membres de l’OAS mais a fini par toucher aussi des membres de la gauche prolétarienne qui distribuaient des tracts. À partir du moment où la Cour de sûreté de l’État a disparu en 1981, on n’a plus reconnu de délits et de crimes politiques et on a traité les militants et les militantes comme des criminels de droit commun. Il y a bien un mouvement répressif qui vise à dépolitiser les luttes par l’assimilation du militantisme à de la délinquance, de la criminalité, voire parfois à du terrorisme.

"Il y a bien un mouvement répressif qui vise à dépolitiser les luttes" 

Les interdictions et contraintes diverses liées à la crise sanitaire montrent-elles un recul des libertés individuelles ?

Toutes les restrictions prises depuis l’année dernière manifestent un recul de certains droits, d’aller et venir notamment, mais pour l’heure, elles sont justifiées par cette crise sanitaire. En revanche, ce que je dénonce, c’est la manière dont les gouvernants essaient de nous rendre responsables des défaillances liées à la crise sanitaire. Ces phénomènes de responsabilisation des citoyens et des citoyennes, et de déresponsabilisation des pouvoirs publics, va de pair avec leur culpabilisation et leur infantilisation. Et avec le récent décret Darmanin, en raison de la crise de la Covid-19, on va nous inviter à nous surveiller les uns les autres, voire à dénoncer autrui.

Comment protéger le droit à s'opposer ? 

Il y a le recours au droit mobilisé par de nombreux avocats, le recours au contre-pouvoir, comme le Conseil constitutionnel, souvent très décevant. Mais surtout la nécessité de ne pas céder, c’est-à-dire de visibiliser les luttes, de manifester et aussi de développer la solidarité et l’entraide. Parce que l’un des objectifs du pouvoir aujourd’hui c’est de nous diviser.

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