Histoire de lutte en pays breton

Mis à jour le 29.01.25

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Reportage : découvrir l'histoire locale

En s’appropriant le centenaire de la grève des « Penn Sardin », les élèves de Douarnenez comprennent que l'histoire est aussi locale et sociale.

« Écoutez l’bruit d’leurs sabots / Voilà les ouvrières d’usine / Écoutez l’bruit d’leurs sabots / Voilà qu’arrivent les Penn Sardin. » Les dix-neuf élèves de CE2-CM1-CM2 de l’école François Guillou de Douarnenez (Finistère) entonnent joyeusement cette récente chanson hommage à la révolte des sardinières de 1924. Ils chantent également en breton « Deuit’ta bugale » ou « Meurlarjez », chants populaires qu’ils ont déjà partagés avec 600 personnes lors d’une foule chantante pour célébrer le centenaire de cette grève. « Les femmes chantaient souvent dans les usines pour se donner du courage car leur travail était très dur », explique Luqman. « Elles chantaient des chansons paillardes ou des cantiques », précise Enora. « Il y a même « Saluez riches heureux » qui était interdite par les patrons ! ».

À tour de rôle, les élèves rappellent le rude labeur des ouvrières des conserveries : elles nettoyaient, enlevaient têtes et boyaux, faisaient frire dans l’huile bouillante, mettaient en boîte…« jusqu’au bout du poisson». « Elles n’avaient pas d’horaires et n’étaient pas beaucoup payées », reprend Meyla. « Elles travaillaient même la nuit mais gagnaient tout juste de quoi acheter le lait pour leurs enfants », raconte Lucie. « Ce n’était pas les années folles pour tout le monde ! », commente Patti. « En novembre 1924, les sardinières font grève et demandent une augmentation, mais les patrons refusent, alors la grève va durer », continue Milo.

RÉCIT DE VIES

Et c’est ainsi que toute la classe narre ces 46 jours de grève des sardinières de Douarnenez. Un récit oral de restitution avec une unité de lieu, de temps et d’action dont les enfants maîtrisent les divers personnages – jusqu’aux « jaunes briseurs de grève » –, les costumes, les décors, comme les éléments romanesques : la solidarité, le coup de théâtre que constitue la tentative d’assassinat du maire de la ville soutenant les ouvrières ou le dénouement final avec la victoire des travailleuses. Proposer un récit, construit à partir de diverses traces, offre une continuité et l’explicitation des liens entre les faits. « Nous avons visionné un reportage, une interview de sardinière, travaillé à partir de stickers issus d’un parcours balisant la ville… », commente Cécile Caro, l’enseignante de la classe.

Au fil des semaines, les articles de la presse locale, réguliers en ces mois de commémoration, constituent un rappel de connaissance. La compréhension de l’époque a été confortée par des séances en arts plastiques menées avec le centre des arts de la ville. En s’appuyant sur des photographies anciennes ou actuelles, les élèves ont réalisé, dans des boîtes de sardines, des scènes de vie en pâte à modeler autour des transports, de l’habitat, des vêtements, des mœurs… à un siècle d’écart : 1924-2024. Ils ont même imaginé ce que cela pourrait être en 2124.

SI LOIN SI PROCHE

Après le récit collectif des évènements, les élèves terminent leur frise chronologique. Celle des CE2 est plus succincte, sur un format plus grand et permet de revoir l’ordre des mois. Celle des CM a été construite après un temps de tâtonnement pour choisir collectivement les faits et les dates retenues mais aussi pour définir l’échelle de graduation… Cette frise s’enchâsse, en effet, dans celle, nationale, de l’entre-deux guerres, avec un zoom sur les années folles, venant elle-même s’intégrer dans une frise du XXe siècle. À chaque frise son échelle temporelle.

Pour l’enseignante, le travail autour d’un projet aux entrées disciplinaires diverses, entre autres artistiques, est une démarche régulière grâce à un partenariat avec le « Port-musée » de Douarnenez, à des productions d’écrits ou des rallyes lecture. Plutôt qu’un empilement de dates et d’évènements imposant le déroulé de destins des dominants, ce travail permet de percevoir le contexte et le quotidien du peuple, en particulier celui des femmes ou des enfants. « L’inscription de l’Histoire dans celle de la ville permet de créer une culture commune », précise Cécile. « Aborder l’Histoire autrement, connaître son environnement, donner sens au présent en interrogeant le passé ». Florence Gourmelen, l’AESH de la classe, partage cette démarche : « C’est une entrée plus vivante qui crée un engouement et une compréhension entre les vies d’aujourd’hui et d’autrefois. »

Et en effet, Célestine témoigne de son plaisir à « chanter comme les sardinières et à revivre leur histoire » tandis qu’Ahmina est sensible à ces enfants de 10-13 ans qui n’allaient pas à l’école, travaillaient illégalement à la conserverie et que l’on devait cacher lors des contrôles. Pour Naomie, c’est le personnage de Daniel Le Flanchec, ce maire soutenant les sardinières et rescapé de l’attentat, qui retient son admiration. Quant à Milo, son intérêt se porte sur « la compréhension du travail des ouvrières, comment elles vivaient et comment elles ont gagné. Cela raconte une histoire de personnes de tous les jours. »

LA RÉVOLTE DES SARDINIÈRES

Depuis l’invention de la conservation des sardines dans des boîtes en fer-blanc en 1820, les conserveries se multiplient au sud Finistère, particulièrement à Douarnenez. Dans les années 1920, plus de 2 000 ouvrières, âgées de 10 à 80 ans et peu instruites, y travaillent dans « un mépris effroyable des droits élémentaires du travail » selon la CGT-U de l’époque. Elles sont mobilisables jour et nuit, travaillant jusqu’à 18 heures par jour, jusqu’au dernier poisson à traiter.

Payées à l’heure, elles gagnent un des plus bas salaires du pays, soumis aux aléas des pêches, dans un contexte d’inflation. Fin novembre 1924, face au refus dédaigneux du syndicat patronal de revaloriser leur salaire, les sardinières s’engagent dans une grève de la misère éprouvante. La structuration du mouvement, avec un comité de grève ou des distributions solidaires, leur permet de tenir. L’attentat des briseurs de grève contre le maire communiste qui les soutient accélère la victoire. Les ouvrières obtiennent un franc de l’heure, une majoration de nuit, la liberté syndicale, le non renvoi des grévistes et une forme de dignité sociale qui résonne au-delà de la côte bretonne.

Interview de LAURENCE DE COCK

FsC UDA 478 Laurence de Cock©Millerand-Naja

Elle est historienne, autrice de « Histoire de France populaire » (Ed. Agone)

QUELLE INFLUENCE DU ROMAN NATIONAL SUR L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE ?

On n’enseigne plus le roman national mais ce dernier reste le modèle à partir duquel se déploient les débats autour de l’histoire à l’école. D’un côté, il y a ceux qui plaident pour le réintroduire au nom de l’idée qu’il faut « faire aimer la France » : c’est, par exemple, dans le programme du RN. De l’autre, ceux qui considèrent que c’est une vision biaisée, erronée et incomplète à dépasser, qui ne prend pas en compte l’histoire sociale, les femmes, l’échelle mondiale, l’immigration, les luttes... Les programmes actuels sont le produit d’un compromis. Une thématique comme « Le temps des rois » est typique du roman national, celle de « la France avant la France » permet au contraire de déconstruire l’idée d’une France éternelle aux ancêtres idéaux et unis présents dès le début.

COMMENT CHEMINER AUTREMENT ?

L’idée est de construire un récit alternatif au plus près des avancées scientifiques en histoire, qui sorte des poncifs du roman national et qui interroge, en particulier, l’évolution des rapports de domination. Un récit qui va chercher le « populaire » et qui s’adresse au plus grand nombre. Une histoire du peuple, pour le peuple, qui fasse un zoom sur les gens ordinaires. Des gens ordinaires dans leur quotidien, mais aussi parfois en colère, révoltés… ne formant pas un ensemble homogène passif qui n’aurait joué aucun rôle.

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