Éric Debarbieux
Mis à jour le 13.09.17
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Éducateur et enseignant auprès de jeunes en grande difficulté, Éric Debarbieux s’est ensuite tourné vers la recherche pour devenir l’un des spécialistes de la violence à l’école. Il fut aussi délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre ces violences. Depuis deux ans il travaille avec des écoles de l’académie de Créteil sur cette prévention et enseigne à l’Espé. Il vient de publier « Ne tirez pas sur l’école ! Réformez-la vraiment. » (Armand Colin, août 2017).
Vous publiez "Ne tirez pas sur l'école!" Qui tire sur l’école et comment ?
À partir du moment où l'on est enseignant on se fait attaquer. Déjà dans la famille ou le cercle d’amis, dès qu’on parle d’école on entend qu’on n’y apprend plus rien, les professeurs sont toujours malades, en vacances ou en grève… de sorte qu’on finit par ne plus oser dire son métier. Dans la sphère médiatique, des intellectuels ont fait du « school bashing » un sport absolu pour faire de l’audience. Les premiers tireurs forment cette étrange secte des « antipédagogues » qui ne vont pas hésiter à parler de désastre de l’école, d’une « fabrique de crétins » abandonnant les savoirs au bénéfice d’un laxisme soixante-huitard tirant le niveau vers le bas… Il existe une autre critique plus fondée scientifiquement sur les inégalités de la société française, que l'école aggraverait. Cela rend donc coupables les enseignants alors que ce sont eux qui tous les jours sur le terrain essaient de faire quelque chose... Ne tirez pas sur l’école, c'est surtout ne tirez pas sur ceux qui y travaillent.
Une partie de ces critiques est-elle justifiée?
Bien sûr que la France et son système éducatif restent inégalitaires. La première inégalité c’est le coût d’un lycéen à Paris, de 47% plus élevé qu’en banlieue. Autre inégalité, la difficulté dans les quartiers populaires de recruter des enseignants. N'y sont nommés que des jeunes, peu expérimentés, des contractuels non formés avec un grand turnover dans les équipes. C’est très préoccupant car cela crée une école à plusieurs vitesses.
Alors bien sûr que la France peut mieux faire mais regardons la manière dont on lit les évaluations Pisa. Les résultats de la France seraient catastrophiques, nous continuerions de nous enfoncer dans le classement. Ce n’est pas vrai. La France reste dans la moyenne supérieure et a même progressé comme en lecture en passant au 19e rang. Certains journaux ne vont présenter que les 20 premiers pays pour nous montrer derniers… alors que nous sommes devant les États-Unis, le Luxembourg et plus de 50 autres pays.
Quel impact ces attaques peuvent-elles avoir sur l’école, les enseignants, les élèves?
La première conséquence est de créer une méfiance vis-à-vis de l'école et une inquiétude des parents, de sorte que les enseignants doivent sans cesse se justifier. Ils ont besoin d'être reconnus, de travailler dans la confiance, le respect. Ensuite ces fractures idéologiques se retrouvent dans les établissements où les positions se rigidifient et créent des conflits, ce qui est catastrophique car on ne peut pas réussir individuellement mais collectivement, en équipe. Notre enquête de 2016 avec l'Autonome de solidarité auprès des enseignants a montré une chute du moral des personnels et de la solidarité dans les équipes. Au final, chacun finit par se retrouver seul dans sa classe, seul dans son établissement. Et malgré tout l'école continue à tourner, à former les élèves qu'elle ne rend pas malheureux. 90 % des élèves se déclarent bien dans leur école et avec leurs maîtres mais ça on oublie de le dire
Malgré ce climat, ne faut-il pas quand même améliorer le système éducatif ?
S'il y avait une réforme à réussir dans notre pays, ce serait celle de la formation des enseignants. Initiale déjà. On accuse les Espé de pédagogisme, mais où est la pédagogie dans le cursus ? On se retrouve avec une formation très théorique, verbeuse, disciplinaire alors que ce que demandent les stagiaires ce sont aussi des outils pratiques pour la classe, pour savoir gérer les élèves, collaborer avec les parents, faire face à la difficulté scolaire, organiser la discipline, circuler la parole. Une formation avec plus d’interventions en classe dès la licence leur permettrait de mieux se préparer. Travailler en équipe ne se décrète pas non plus, cela s'apprend. De même réussir l'école inclusive demande des moyens, de la formation, un vrai accompagnement des élèves en situation de handicap ou avec des troubles du comportement par des personnels non précaires, formés et rémunérés correctement. 3/4 des conflits avec les parents viennent de ces élèves en grande difficulté, soit avec leur famille soit avec celle des autres élèves. L'autre priorité serait l'éducation prioritaire pour stabiliser les équipes, mixer les enseignants débutants et plus expérimentés. Enfin, il faut repenser la gouvernance de l'éducation nationale. Notre école de la République reste très pyramidale, tout fonctionne par injonctions, grandes circulaires, sans concerter les personnes sur le terrain, les enseignants et c'est quelque chose qu'ils ne supportent plus. On les accuse de résister au changement mais ils résistent surtout à la manière de faire changement.