Entre rêve et réalité
Mis à jour le 24.11.22
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Portrait de Vanessa Morel Bertran, enseignante en Guyane
A Maripasoula, ville guyanaise du fleuve, Vanessa Morel Beltran est confrontée à des conditions trop singulières.
Vanessa Morel Beltran rêvait d’être enseignante, « comme une destinée ». Issue d’une famille pauvre immigrée de Saint-Domingue en Guyane, elle est aujourd’hui professeure d’école à Maripasoula. « Un coup de cœur touristique ! », se souvient-elle. Cette ancienne agente d’escale originaire de Kourou a choisi cette bourgade, campée entre le long fleuve Maroni et l’immense forêt amazonienne, pour son calme et « un aspect petit coin de paradis ». Une sensation prolongée quand les oiseaux sauvages toquent à sa fenêtre le matin. Mais l’enseignement dans cette commune guyanaise, accessible uniquement en pirogue ou en avion, se révèle fort éloigné des apaisantes balades en forêt tropicale.
« Le métier ici, c’est tellement loin de ce que l’on s’imagine », raconte Vanessa, titulaire à l’école Tobie Balla depuis deux ans. « Quand je suis arrivée, l’école était neuve mais il n’y avait pas de matériel, pas de manuels. Alors j’ai fait des demandes de dons aux écoles de
Kourou où j’avais été contractuelle pendant trois ans. » Peintures, pinceaux, craies et cahiers sont ainsi arrivés en pirogue. Un transport qui aura coûté la somme de sept cents euros à Vanessa. Cette année, la gestion de la commande a nécessité un suivi direct du libraire au piroguier pour éviter que les fournitures « retombent à l’eau ». « Avoir de quoi travailler est un combat ! », souligne l’enseignante. S’y ajoute l’absence régulière de ventilateurs indispensables dans cette région tropicale. Des conditions de travail qui donnent un sentiment « d’être coupé du monde, une fracture énorme avec les territoires du littoral. Sans même comparer avec la métropole. Il y a un impératif de débrouillardise constant. »
Loin de l'ordinaire
De même, l’enseignement en classe de CP dédoublé - l’école, comme nombre d’établissements du département, est classée REP+ - demeure singulier, en particulier dans une classe où 90% des enfants parlent exclusivement aluku, une des langues des Bushinengués, peuple issu du marronage surinamien. « Sans formation FLE, il faut là aussi compter sur ses propres ressources : des mots de base appris grâce aux collègues, certains élèves ou des connaissances… », explique Vanessa. « Les apprentissages sont aussi bouleversés par d’autres considérations », reprend-elle. Souvent, les enfants arrivent sans avoir mangé, sans collation pour tenir une journée d’école concentrée de 7h30 à 12h30. « Nous sommes confrontés directement à la pauvreté, déplore-t-elle. Voir les enfants fatigués de faim, cela me déchire le cœur alors je leur amène souvent de quoi manger. » Aujourd'hui, après la suspension des liaisons aériennes et un fleuve quasi impraticable, la région se retrouve de plus en plus enclavée. Alors si l’enseignante se retrouve encore dans son métier, aime voir ses élèves « apprendre, grandir, devenir autonomes et s’affirmer comme des citoyens en devenir… », à trente-cinq ans, elle veut « sortir d’un gouffre financier dû à un salaire grevé par des dépenses pour la classe et retrouver un fonctionnement plus ordinaire, confie-t-elle. La réalité a un peu abîmé le rêve ». Participant ainsi à un turn-over des enseignant·es sur ce secteur, elle souhaite aujourd’hui « changer d’aventure ». « Je raconterai l’intérieur de la Guyane aux élèves du littoral ! », promet-elle