"Enjeu d'égalité et d'émancipation"
Mis à jour le 22.03.23
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Itv d'Elise Devieilhe, docteure en sociologie, formatrice à l'association Epicène
Élise Devieilhe, docteure en sociologie, formatrice à l’association Épicène, traductrice d’un manuel d’éducation à la vie affective et sexuelle : « Le livre le plus important du monde » à paraître fin 2023.
Quels sujets aborder dans l'éducation à la sexualité ?
L’éducation à la vie affective et sexuelle est à la fois une transmission d’informations et un encouragement à la réflexion critique sur les représentations, les idées reçues ou les rapports de pouvoir. En primaire, sauf à répondre aux interrogations des enfants, on aborde peu les pratiques sexuelles, on parle surtout du corps et des relations affectives. Comment construit-on une relation amicale ou amoureuse ? Comment les stéréotypes de genre et les rôles assignés nous li-mitent-ils ? En anatomie, on peut choisir de souligner plutôt nos similitudes : en comparant par exemple le fonctionnement du pénis avec celui du clitoris. De même, il est important de déconstruire le tabou et la honte autour du sang menstruel en parlant des règles à tout le monde, pas simplement aux filles.
Comment l'école peut-elle avancer ?
Évidemment, il faut donner les moyens pour accompagner des circulaires que l’on ne sait pas mettre en œuvre par un soutien institutionnel relatif. En formant les personnels, en proposant des ressources actuellement réduites - en particulier pour la tranche des 8-13 ans - en inscrivant l’EAS dans l’emploi du temps, nous pourrions sortir d’une dépendance de volontés personnelles et ouvrir à un possible continuum solide. Je pense aussi qu’il faut sortir d’une pédagogie de la tolérance. L’École a tendance à encourager les personnes conformes aux normes, à « tolérer » les minorités, c’est-à-dire à s’octroyer le droit de les « autoriser » à exister, loin d’un rapport de respect mutuel égalitaire. Il s’agit d’une part de basculer vers une pédagogie inclusive et d’autre part vers une pédagogie critique des normes.
"Interroger les valeurs normatives intégrées est un travail minutieux et une habitude à prendre"
Qu'entendez-vous par ces pédagogies ?
La pédagogie inclusive vise l’égalité, elle consiste à ne pas s’adresser qu’aux personnes « conformes aux normes », à faire en sorte que personne ne se sente invisible ou anormal. Présenter, par exemple, une pluralité des familles dans la littérature jeunesse en sortant de la famille nucléaire « un papa, une maman ». Éviter aussi de considérer une relation fille-garçon comme systématiquement amoureuse par nos taquineries. Il s’agit de sortir de perspectives hétéronormées actant l’hétérosexualité comme une norme supérieure à suivre. Éviter de considérer que la catégorie de sexe assignée à la naissance correspond automatiquement à l’identité de genre ou de rester dans une vision du monde du point de vue masculin. Cette pédagogie s’appuie sur un langage démasculinisé, qui inclut les femmes et les non-binaires, et fait en sorte de représenter les êtres humains dans leur diversité. Interroger les valeurs normatives intégrées, dont beaucoup sont oppressives et que l’école participe à reproduire, est un travail minutieux et une habitude à prendre. La pédagogie critique des normes vise l’émancipation en soulignant les rapports de pouvoir entre « norme » et « hors-norme » pour les déconstruire. Il s’agit ainsi de travailler la question des inégalités, des discriminations, de leurs conséquences. Interroger par exemple la présomption d’hétérosexualité qui oblige « les autres » à un coming out, une exigence d’annonce sans réciprocité.
En quoi cette éducation peut-elle participer à réduire les VSS* ?
Les violences faites aux femmes et aux enfants relèvent non pas de criminels marginaux mais d’une tragique normalité. Les violences patriarcales sont systémiques, prennent source dans les rôles de genre, empreints de culture du viol ou de l’inceste. Il est donc essentiel de les travailler. De même, construire et favoriser l’empathie vise à éviter la déshumanisation de l’autre et prévenir les agressions d’une manière générale. Enfin, la question de l’intégrité physique et du consentement progresse. Nous sommes passés du « qui ne dit mot consent » à « quand c’est non, c’est non », puis à la possibilité d’un consentement qui ne soit pas une absence de « non » mais un « oui » exprimant le désir. C’est une base mais ce consentement reste inégalitaire puisque demandé par les hommes aux femmes dans des conditions où des pressions perdurent. Nous pourrions ambitionner la libre participation active et enthousiaste de tous les partenaires ! Réfléchir de manière critique sur les normes de genre favorise le développement de futurs adultes basé sur un respect mutuel, libéré de pouvoirs de domination. Cela dépasse une simple transmission de connaissances, il y a bien un enjeu d’égalité et d’émancipation.
*VSS : violences sexistes et sexuelles