É. Debarbieux, "Ne pas rester seuls"

Mis à jour le 16.11.18

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Face aux violences en milieu scolaire, comment agir?

éric Debarbieux, professeur émérite à l’université Paris Est Créteil, a été éducateur et enseignant auprès de jeunes en grande difficulté. Il est l’un des spécialistes de la violence à l’école. Il fut aussi délégué ministériel chargé de la prévention et de la lutte contre ces violences. Il vient de publier « L’impasse de la punition à l’école : des solutions alternatives en classe » (A. Colin. 2018)

QUE VOUS INSPIRENT LES ANNONCES MINISTÉRIELLES ? 

ÉRIC DEBARBIEUX : Tous les plans pour lutter contre la violence à l’école ont été vers un renforcement sécuritaire. L’opinion a envie d’entendre un tel discours. Mais la violence à l’école n’est pas une violence d’intrusion. Elle a lieu plutôt dans la relation pédagogique ou éducative ordinaire. 95 % de ces faits sont commis par des élèves à l’intérieur des établissements. S’il est important de travailler avec la police ou la gendarmerie, toutes les solutions en termes de patrouille ou de vidéosurveillance ne régleront qu’une très faible partie du problème ou pas du tout. De plus, cela peut renforcer certains comportements. Le sentiment d’un mépris social, d’une méfiance par rapport à un quartier ou aux familles, peut être criminogène.

QUE RÉVÈLE #PASDEVAGUE ?

É.D. : Une tension extrême dans les équipes et un système pyramidal qui ne fonctionne plus. Le sentiment d’éloignement de la base est fort et il est renforcé par les effets d’annonces continuelles. Chacun veut apposer sa marque et une réforme chasse l’autre. 62 % des personnels de l’Éducation nationale disent qu’ils ne se sentent pas du tout respectés par la hiérarchie, seulement 24 % par les IEN dans le premier degré. C’est bien la gouvernance de l’Éducation nationale qui est l’enjeu essentiel. Les enquêtes ont montré aussi une aggravation des conflits d’équipe qui tourne autour d’une contrainte, pas véritablement posée, et d’un double discours : «Vous êtes libres, mais en réalité vous êtes libres de faire ce que je veux ».

QU’EN EST-IL DANS LE PRIMAIRE ? 

É.D. : On est dans l’illusion en faisant croire que le primaire va bien. J’ai rencontré des gens en vraie souffrance et pas que dans l’urbain sensible. Le primaire est touché à plusieurs niveaux. On exagère les agressions par les parents qui représentent moins de 1 % des agressions physiques. Par contre la priorité des priorités concerne les élèves qui sont plus difficiles parfois ou plus compliqués que les autres ou ceux dont on ne parle pas dans les textes, les enfants à troubles de comportements graves, agressifs. Ils ne sont pas réellement pris en compte et les enseignants se trouvent totalement démunis pour les aider.

POURQUOI LA PUNITION NE SERT-ELLE À RIEN ?

É.D. : Si on prend la punition d’un point de vue idéologique, on ne pose pas vraiment le problème. Et cette question n’est jamais posée en formation. On n’a aucune idée de ce que c’est la réelle discipline, c’est à dire une auto-discipline. Souvent les enfants disent que les punitions sont injustes et la première conséquence est qu’on construit la violence, en particulier celle des garçons, qui a des conséquences négatives en termes d’échec et de décrochage scolaires. Il n’y a pas une solution miracle mais d’autres manières de faire qui permettent peut-être d’aller un petit peu ailleurs.

QUELLES SONT LES RÉPONSES À APPORTER ?

É.D. : Avant tout, plutôt que des moyens pour la répression, on pourrait avoir beaucoup plus de personnels, de type psychologues par exemple. Ensuite, c’est le travail en équipe et une confiance collective dans les équipes d’adultes. La vraie protection situationnelle, c’est de ne pas être seul. Si je me replie dans ma classe, j’ai beaucoup plus de risques. La recherche montre que du bien-être collectif des adultes dépend aussi le bien-être collectif des élèves. Mais ça signifie aussi un sacré remue-ménage dans la manière de considérer la direction d’une école : une approche collective systémique dans le climat scolaire, pas celui qui descendrait du haut avec des circulaires, mais quelque chose qui se construit à la base avec des alliés possibles et sans coupure avec le quartier, avec les parents. Mais gérer les problèmes de discipline courante, on n’en parle jamais dans la formation. C’est le combat majeur à mener non pas avec une conférence, mais avec de véritables projets de formation collectifs, du temps pour réfléchir à l’importance de la coopération, de l’auto organisation et de la co-organisation du groupe, de la parole et de la place des enfants, tout simplement.

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