“...comprendre le jeu scolaire”

Mis à jour le 17.01.23

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Interview de Sylvie Plane, professeur en sciences du langage

“Parler pour comprendre le jeu scolaire”

Sylvie Plane est professeure émérite des sciences du langage. Autrice de Comment enseigner l’oral à l’école primaire ?

Dossier 487 L'oral Sylvie Plane

Quels sont les attendus sur l'enseignement de l'oral ?  

Alors qu’à l’école maternelle, l’oral constitue une entrée dans l’école et la matière du développement du langage, à l’école élémentaire il se positionne avec les autres apprentissages, dans des conduites adaptées à des situations très diverses. Il existe deux formes principales de l’oral scolaire. D’une part des prises de parole monologales, même courtes, où l’élève est amené à prendre en charge seul la présentation d’une idée ou d’un point de vue. D’autre part, l’élève participe à des formes d’échanges dialogués en respectant les règles de conversation ordinaire. Il y a alors une dimension interactionnelle, il faut être capable d’entendre les propos de l’autre, de tenir compte des différents fils… Tous les adultes n’y parviennent pas ! Il y a évidemment aussi une dimension affective pour oser communiquer, accepter de s’exposer, ce qui implique un climat de confiance au sein de la classe.

En quoi l'oral a-t-il une dimension sociale ? 

Il est le principal instrument d’une socialisation. L’entrée en contact et la découverte de la pensée de l’autre passent principalement par l’oral. Il est aussi l’instrument de la socialisation où la classe est une micro-société dirigée vers les apprentissages avec ses propres codes et conventions. De plus, l’oral est porteur de catégorisations. Assez tôt, les enfants sont capables d’identifier l’origine sociale d’une personne. Les indices auditifs de voix, de phrasé, de vocabulaire, d’aisance, de manière de se positionner vont indiquer la géographie, le genre, l’âge et surtout le milieu social du locuteur. Dans un groupe, l’oral distingue les dominants des autres. Dans la société, il y a, par exemple, une hiérarchisation des répertoires langagiers. Or, le jugement porté sur la manière de parler renvoie à un jugement de la personne. Le projet de l’école est de former des citoyennes et citoyens, il est donc important de ne pas considérer l’oral comme un moyen de « performance » pour l’emporter sur les autres mais de privilégier celui de coopération. C’est pourquoi l’école doit se soucier de cette dimension sociale.

Comment participe-t-il à construire les savoirs ?  

Dans les programmes, l’oral est associé à chaque discipline. En effet le mot « échange » n’aura pas la même signification en EPS qu’en géographie. Il faut arriver à percevoir que chaque entrée disciplinaire construit un univers de pensée. La discussion peut amener à des avis différents sur l’appréciation d’un livre, en revanche, en sciences, elle nécessitera un accord de validation appuyée sur une vérité constatée. Les formulations d’hypothèses, la prise en compte d’objections constituent des méthodes de pensée. À l’école, l’oral vise à rendre visible et à comprendre ce que l’on est en train d’apprendre. Parler pour comprendre « le jeu scolaire », verbaliser pour identifier les apprentissages. Il s’agit de dépasser la tâche prescrite pour accéder à la tâche cognitive car c’est celle-ci qui est importante. Le langage oral permet à la fois des relations et en même temps il instaure une distance critique avec les savoirs du fait de la verbalisation. Or, pour l’enseignant, il est complexe de gérer à la fois la place donnée à la parole et l’institutionnalisation des savoirs. 

Son enseignement peut-il réduire les inégalités ?  

Réduire les inégalités reste vraiment la vocation de l’école. Comment le langage peut-il y contribuer... Il peut être un outil d’émancipation si la classe est ouverte à toutes et tous grâce à un climat permettant de prendre des risques, de se nourrir des manières dont les autres parlent et des argumentations diverses. Il contribue à donner les mêmes instruments pour apprendre à penser par soi-même. Le langage oral est un marqueur social puissant. « Le langage de la rue » va être disqualifiant alors que les formules grossières sont autorisées dans les discours des notables. L’école doit agir en donnant les clés de ses différents usages, habituer aux variations selon les circonstances. Mais il serait injuste de dire qu’on a donné toutes leurs chances à tous les élèves sans tenir compte des positions sociales. L’école à elle seule ne peut réparer les désordres de la société.

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