Combattre l'échec scolaire
Mis à jour le 24.05.24
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Interview d'Yves Reuter, professeur émérite en sciences de l'éducation
Yves Reuter est professeur émérite en sciences de l’éducation à l’université de Lille. Il a écrit “Comprendre et combattre l’échec scolaire. L’articulation entre pédagogies et didactiques" Berger-Levrault 2024.
“Comment apprendre sans exercer ses prérogatives d’être humain ?”
De quelle façon l'échec scolaire est-il généré ?
L’échec est lié à la « forme scolaire » classique. L’école est conçue comme un espace/temps singulier, séparé du reste de la société, au sein duquel un maître enseigne de façon relativement magistrale à un ensemble d’élèves censés avancer de concert. Or, les élèves n’apprennent ni au même rythme, ni selon les mêmes modalités. De surcroît, la pédagogie traditionnelle construit l’élève contre l’enfant, en faisant abstraction de son histoire et de sa culture. Mais peut-on motiver un élève en refoulant, voire en stigmatisant, ses pratiques culturelles et sociales ? À l’inverse, les pédagogies « alternatives » essaient de construire l’apprenant sur la base de son « déjà là ». En outre, la mise en concurrence, au travers des évaluations, génère un stress peu propice aux apprentissages. La coopération, liée à l’entraide, valeur forte des milieux populaires, permet en revanche de construire la classe comme une communauté d'apprentissages. L’imposition des contenus et des démarches participe aussi au désengagement de jeunes qui vivent difficilement la dépossession de tout choix. Comment apprendre sans exercer ses prérogatives d’être humain ?
Pourquoi prêter une attention particulière aux élèves des milieux populaires ?
Ces élèves cumulent les difficultés. L’échec scolaire les touche massivement et ils subissent souvent une orientation non souhaitée. Ce sont des enfants trop souvent sanctionnés pour leur conduite, stigmatisés pour leur manière de parler et insuffisamment stimulés, voire abandonnés. Leurs témoignages éclairent les mécanismes de l’échec scolaire. En particulier la maltraitance institutionnelle dont sont victimes leurs parents. Perçues comme éloignées de l’école, ces familles sont en fait mises à distance par l’école qui, sans les écouter, leur explique qu’elles font mal et comment elles devraient s’y prendre. Or, pour nombre de familles populaires, l’école est un univers opaque. Ainsi, en matière d’évaluation, les annotations sont souvent peu compréhensibles. Elles suscitent des malentendus quand, par exemple, en production d’écrits, elles portent sur la syntaxe et l’orthographe sans relation avec la consigne qui sollicite des récits impliquant l’expérience ou l’imagination de l’élève.
Des pistes pour remédier à l'échec ?
Les élèves en échec, issus de milieux défavorisés, éprouvent de l'insécurité face à l’univers scolaire et sont particulièrement susceptibles d’être exclus ou abandonnés, en l’absence de stimulation suffisante. Il faut donc conjuguer sécurisation et stimulation à l’aide de pistes explorées par les pédagogies « différentes ». On peut ainsi essayer de dissiper l’opacité du système scolaire, s’appuyer sur les questionnements des élèves, ouvrir des espaces de choix et de décisions, depuis le nombre de questions à traiter jusqu’à la gouvernance de l’école. Et apprendre des parents plutôt que de vouloir apprendre aux parents, ce qui les dévalorise et les culpabilise. Cela implique un changement de posture des maîtres pour interroger de manière critique leurs fonctionnements, pour éviter les malentendus, pour mieux connaître les univers existentiels de ces familles et pour constituer les parents en alliés.
Le "choc des savoirs" : une réponse adéquate ?
Des mesures telles l’uniforme, le redoublement, les groupes de niveau ont déjà été testées. Il est stupéfiant de les justifier au nom de la science alors que les recherches montrent qu’elles sont inopérantes. Il s’agit donc d’idéologie et ce « choc des savoirs » risque d’accentuer les inégalités scolaires. Chercher la démarche miracle et universelle est vain. Il vaut mieux s’appuyer sur la créativité du terrain, souvent entravée alors qu’elle produit des effets positifs et mériterait d’être soutenue. Il serait préférable de fournir aux enseignants un éventail de possibles, dont les pédagogies « différentes », et de leur laisser la responsabilité, en tant qu’experts du terrain, de s’emparer de ce qui leur semble pertinent pour leurs élèves. En somme, faire confiance aux enseignants, en leur garantissant une formation initiale et continue digne de ce nom, plutôt que de leur dire avec mépris ce qu’ils doivent faire et comment.