C'est oui ou c'est non ?
Mis à jour le 20.06.23
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Quelle place donner à l'éducation positive dans les écoles ?
Née il y a trente ans aux États-Unis, l’éducation positive gagne progressivement en audience et en visibilité. Quelle place lui donner dans les écoles ?
Qualifier l’éducation de positive s’apparente un peu à identifier la couleur du cheval blanc d’Henri IV. Le concept fait pourtant florès dans le monde entier depuis une trentaine d’années, porté à l’origine par des psychologues américains lassés de s’intéresser exclusivement aux troubles et aux pathologies. Antidote tout trouvé aux angoisses liées aux inégalités sociales, à la compétition libérale ou aux incertitudes climatiques, l’éducation positive envahit les étals des librairies et les discours prescripteurs à l’usage des parents. À son appui, les neurosciences et la psychologie cognitive qui invoquent les meilleures capacités du cerveau humain à apprendre dans un environnement bienveillant et encouragé par le renforcement positif. Le récent bémol apporté par la psychologue Caroline Goldman, rappelant les possibles vertus du bon vieux « File dans ta chambre ! » a rallumé en France l’éternel conflit caricatural entre traditionalistes nostalgiques de l’ordre et de la rigueur dans l’éducation et soi-disant permissifs post soixante-huitards favorisant la toute-puissance de l’enfant roi.
Et à l'école ?
Dans les écoles, fort heureusement, la plupart des PE savent s’abstraire de ce tumulte et faire la part des choses, occupés quotidiennement à assurer du mieux qu’ils peuvent leur difficile mission de conduite des apprentissages et de formation du citoyen. Le temps des hussards noirs de la République est révolu qui pouvait laisser place à quelques dérives autoritaristes contestables. Depuis longtemps, la didactique est éclairée par des pédagogues qui n’ont pas attendu l’éducation positive pour proposer aux enfants du matériel à manipuler comme préconisé par l’Italienne Maria Montessori, des situations d’apprentissage par l’activité comme les souhaitait l’Américain John Dewey ou des projets coopératifs comme les expérimentait le Français Célestin Freinet. De la même manière, praticiennes et praticiens des écoles n’ont pas besoin des neurosciences pour comprendre que la sécurité affective de leurs élèves et les conditions matérielles dans lesquelles se déroulent les apprentissages favorisent leur réussite. S’ils avaient quelques doutes, ils peuvent s’appuyer depuis le début du XXe siècle sur les plaidoyers de la psychologie expérimentale et clinique de Binet, Freud, Wallon, Piaget ou Vygotski.
Pouvoir dire non
Alors l’éducation positive, une simple idéologie inoffensive qui ne fait que recycler des méthodes éprouvées et peut se transposer dans les classes ? Ce serait oublier que l’école n’est pas la famille et que l’éducation qu’on y reçoit vise à guider les élèves sur les chemins du savoir, de l’autonomie et du faire société. Pour cela, les PE doivent créer un espace où leurs élèves peuvent apprendre, avec des habitudes et des règles simples à suivre, à un rythme à la fois soutenu et adapté aux différents besoins, où les sanctions sont rares, pondérées et justifiées et où des responsabilités sont distribuées. Si la bienveillance est de mise, si le refus arbitraire est à proscrire, la classe reste un espace où l’élève se confronte à des règles porteuses de sens, à des régulations individuelles et collectives et au sein duquel ses croyances se heurtent souvent à la réalité des savoirs, générant parfois chez lui déplaisir et frustration. L’apprentissage idéal, s’il doit savoir dire « oui », doit évidemment pouvoir dire « non » quand c’est nécessaire.
L'essor des écoles privées hors-contrat
Portées à la fois par le courant de l’éducation positive et le souci de se rapprocher de la nature, les écoles privées hors-contrat, qui restent libres de leurs méthodes d’apprentissage, ont vu leur nombre augmenter de 110% en 10 ans (1 657 en 2021 pour 803 en 2010). Un chiffre qui reste malgré tout à mettre en perspective avec les quelques 44 000 écoles publiques. La vogue des écoles Montessori (40% des ouvertures en 2019) semble se résorber (seulement 26% en 2021). Les écoles qui ouvrent aujourd’hui mixent les pédagogie (Montessori, Freinet...), mettent en avant le bilinguisme ou les méthodes au contact de la nature. Parmi ces écoles, qui ne reçoivent aucune aide publique et peuvent employer des professeurs non diplômés, certaines présentent de réels dangers pour les élèves accueillis (dérives sectaires, problèmes d’hygiène et de sécurité). En choisissant leurs élèves et en faisant payer les familles, ces écoles se privent de mixité sociale, s’affranchissent des valeurs laïques et risquent de marginaliser les enfants qu’elles accueillent
Olivier Maulini est professeur associé dans le domaine « Analyse du métier d’enseignant », université de Genève
Que faire de l'éducation positive en classe ?
L’éducation positive est plutôt bien perçue par le terrain des écoles. Elle rejoint une certaine attente des enseignants qui cherchent des manières de développer une atmosphère plus favorable dans les classes. Il y a en ce moment une telle négativité ressentie autour de l’acte d’enseigner - stress, inquiétudes face à l’avenir, surinvestissement et pression des parents, procéduralisation du travail scolaire - que les PE cherchent des portes de sortie : ce peut être aller faire classe en forêt ou chercher du bien-être par le yoga ou l’éducation positive. Mais il ne faudrait pas se tromper d’objectif : l’école n’est pas un club de loisirs qui doit rendre les enfants heureux, mais un lieu où sécuriser, donc civiliser leurs apprentissages.
Le bien-être à l'école n'est pas un objectif ?
C’est toujours mieux d’apprendre dans un contexte accueillant, mais toute l’histoire de la pédagogie montre que le déplaisir fait partie du processus et les enseignants, au fond, le savent très bien. Il leur arrive de sanctionner à juste titre et de laisser les enfants vivre des expériences négatives. Certains courants de l’éducation positive professent qu’il vaut mieux 1 000 renforcements positifs qu’un renforcement négatif. Pourtant, philosophiquement et éthiquement, certains interdits sont fondamentaux et nécessaires pour structurer une société ou une classe. Enseigner le discernement, c’est en fait enseigner la différence entre le bon et le mauvais bien-être : celui qui aide à apprendre et celui qui en dissuade, en tournant le dos au réel lorsqu’il s’avère contrariant.
L'éducation positive dit s'appuyer sur les neurosciences...
Lorsque les neurosciences ou la psychologie cognitive mesurent la qualité d’une pédagogie à la dose de félicité qu’elle procure, elles renforcent le risque de s’affranchir des contraintes de l’instruction publique. Enseigner a une vocation prescriptive, définie par des programmes, des objectifs d’apprentissage et de formation du citoyen : impossible de former tous les élèves sans fixer des limites à chacun. L’ignorer, c’est exclure d’un coup toute la recherche didactique. Le bonheur qu’ont les enfants de venir à l’école devrait résulter de leur progressive émancipation, pas l’inverse. Survaloriser le bien-être ou la menace d’exclusion sont les deux faces d’une même désorientation : on se précipite vers le bon conditionnement, alors que c’est l’intelligence qu’il faudrait former patiemment. C’est difficile à l’ère de l’impatience et de l’excitation.