“Aucune différence cognitive entre filles et garçons”

Mis à jour le 28.11.25

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Interview de Clémence Perronet sur les inégalités filles garçons en mathématiques

CLÉMENCE PERRONNET est sociologue des sciences, de la culture et des inégalités sociales.

Clémence Perronet

QUELS MYTHES CIRCULENT SUR LA MAÎTRISE DES MATHS ?

Le présumé sens inné des maths est le mythe le plus persistant. Sciences sociales et naturelles montrent que l’idée d’une aisance naturelle en maths n’a aucune réalité. Nulle trace de cerveau littéraire ou scientifique. Les cerveaux ne diffèrent qu’après entraînement. Seule la pratique crée les différences de capacités. L’exposition aux raisonnements scientifiques varie dès la prime enfance, d’où des écarts constatés dès le CP.

À l’image de la « bosse des maths » fait écho celle de cerveaux présumés masculins ou féminins. Les deux mythes s’alimentent. Or, il n’y a strictement aucune différence cognitive entre filles et garçons. La prédisposition au goût pour les maths est une dernière idée reçue. En début de scolarité élémentaire, l’appétence pour maths et sciences est assez bien répartie selon le genre et la classe sociale. Les écarts se creusent au collège quand stéréotypes et conformité aux normes de genre véhiculés par les pairs prennent de l’importance. Il est alors coûteux pour une fi lle de prétendre aimer les sciences et d’être forte en maths.

LES MATHS : UNE DISCIPLINE NEUTRE ?

C.P. : À l’école de Ferry, les disciplines scientifiques étaient considérées comme les plus neutres socialement. Cette idée fondatrice d’une reproduction sociale moins forte en sciences perdure. Les données prouvent pourtant l’inverse. À l’école, c’est en maths que la classe sociale a le plus d’infl uence sur les écarts de réussite, bien plus que le genre. Cela reste vrai dans la suite de la scolarité. Les filières mathématiques de l'enseignement supérieur sont les plus élitistes. Les maths sont devenues l’étalon le plus sélectif de l’intelligence scolaire.

Autrefois, latin, grammaire ou rhétorique jouaient ce rôle. Les groupes dont on accepte le moins la réussite et la domination scolaire - les filles et les élèves issus des classes populaires – sont exclus des maths, aujourd’hui matière discriminante d’un système scolaire contemporain de l’industrialisation et des progrès technologiques.

“À l’école, c’est en maths que la classe sociale a le plus d’influence sur les écarts de réussite, bien plus que le genre.”

QUELLES SONT LES CAUSES DES INÉGALITÉS GENRÉES EN MATHS ?

La cause principale de la faible présence des filles à mesure que progressent les parcours scientifiques reste la prégnance de la croyance d’une intelligence féminine peu adaptée aux maths de haut niveau. Elle donne lieu à des discriminations sous forme de violences sexistes – et d’agressions sexuelles dans les grandes écoles et carrières scientifiques – qui dissuadent les filles de poursuivre dans ces filières. Le continuum des violences débute dès le primaire avec des discriminations inconscientes dans la distribution de la parole, à travers remarques et plaisanteries ou le traitement des réussites comme signe de facilité innée chez les garçons mais produit d’un travail intensif des filles.

Paradoxalement, le discours égalitaire ambiant brouille les pistes. Car les plans égalité se succèdent, sans effet sur les discriminations. Pour les filles, c’est la double peine. Ne pas accéder aux positions dominantes déplace la responsabilité sur elles-mêmes, ce qui occasionne une perte de confiance et d’estime de soi, présentée alors comme cause première des inégalités.

COMMENT LUTTER CONTRE ?

Au-delà des affichages, il faut une vraie tolérance zéro contre le sexisme. Or, dans les faits, les protocoles ne sont pas appliqués, le suivi et les moyens restent insuffisants. Des enseignants surchargés et non formés ne peuvent pas seuls mettre un terme aux pratiques discriminantes avec trop d’élèves et sans temps réflexif. Instaurer des quotas genrés dans les filières donne de bons résultats. Cet acquis de la recherche est contrariant car il s’oppose à l’idéal républicain de mixité et de vivre ensemble.

Mais il pointe le problème des agissements problématiques des garçons en classe mixte. Car soutenir les filles sans transformer les pratiques des garçons est une impasse. C’est le risque avec le plan Filles et maths, aux allures de saupoudrage, qui pourrait renforcer l’idée que tout a été tenté et que les inégalités genrées sont décidément un état de fait indépassable. L’urgence est à l'amélioration des conditions de travail : baisse des eff ec-tifs, formation de qualité avec temps réfl exifs partagés, y compris avec les élèves, pour mieux gérer la parole en classe, utiliser un langage égalitaire, évaluer sans essentialiser et ne pas renforcer les stéréotypes en faisant des filles les gestionnaires du comportement des garçons.

A lire également dans ce dossier :

  • Le genre en mode mineur : éclairage avec le rapport "Filles et mathématiques : lutter contre les stéréotypes, ouvrir le champ des possibles" (IG)
  • D'égale à égal : reportage en CE1 en plein coeur du XVe à Paris
  • Difficultés, obstacles, pratiques égalitaires : 3 questions à Pierre Esseyric, professeur de mathématiques
  • A tout problème, des solutions : reportage au sein d'une équipe pédagogique girondine

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