Apprendre à ciel ouvert
Mis à jour le 21.06.25
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La pratique de l’école dehors apparaît comme une alternative pour réconcilier la jeune génération avec son environnement naturel.
Dans un contexte où la santé des enfants est de plus en plus menacée par la sédentarité, l’exposition aux écrans, la pratique de l’école dehors apparaît comme une alternative pour réconcilier la jeune génération avec son environnement naturel. Une autre façon de faire classe qui gagne du terrain parmi les PE.
« Les enfants ne sortent pas assez ». Ce constat du Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) s’appuie sur une série de données alarmantes publiées dans un rapport en octobre 2024*. Par exemple, celles révélant qu’un enfant sur quatre, âgé de 3 à 10 ans, passe plus de trois heures par jour devant un écran ou que 60% des déplacements domicile-école s'effectuent à bord d’un véhicule motorisé. Selon ce document, la sédentarité fait peser sur les plus jeunes générations un risque pour « leur santé et leur équilibre » et accroît « les inégalités sociales, genrées et territoriales ». Dans ce contexte, l’école a un rôle essentiel à jouer.
* « Quelle place pour les enfants dans les espaces publics et la nature ? ».
“Les apprentissages éprouvés sur le terrain s’ancrent durablement grâce aux échanges langagiers lors de phases d'institutionnalisation de retour à l’école’’
Certes, l'enseignement en pleine nature n’est pas une nouveauté – les premières expériences remontent au début du 20e siècle – mais cette pratique pédagogique connaît une nouvelle dynamique depuis la pandémie du Covid. Encouragée depuis peu par l’institution éducative, l’école dehors permet d’apporter des réponses concrètes aux problématiques vécues par les enfants évoluant essentiellement dans des espaces fermés et grandissant sans véritable contact avec les milieux naturels.
FORMER À L’ÉCO-CITOYENNETÉ
Sur le terrain, des PE sont pleinement engagés dans ce mouvement permettant notamment aux élèves d’appréhender les enjeux écologiques de leur temps et de se construire en tant que futurs éco-citoyens et citoyennes sensibilisées à la préservation de l’environnement. Mais les bienfaits constatés dépassent le seul rapport au vivant. « En plus de favoriser l’activité physique et le repérage spatial indispensables au cycle 1 », les séquences pédagogiques organisées dans le pré apportent « des moments de vie qu’on ne s’autorise plus à l’école », témoigne Jessy Gil, PE à l’école de Saint-Jean-du-Bruel dans l’Aveyron. « Des élèves qu’on peut perdre en classe quand les activités sont très scolaires, redeviennent des enfants joyeux d’apprendre en bougeant mais aussi en mettant des mots sur ce qu’ils découvrent, confie-t-elle. Les apprentissages éprouvés sur le terrain s’ancrent durablement grâce aux échanges langagiers lors de phases d’institutionnalisation de retour à l’école ».
“Des moments de vie qu’on ne s’autorise plus à l’école’’
Crystèle Ferjou, conseillère pédagogique départementale (Deux-Sèvres) insiste, quant à elle, sur le fait que « le travail dehors ne s’oppose pas au travail dedans, mais le complète », toujours avec pour objectif les acquisitions scolaires. Une démarche partagée par Laure Demarne, enseignante à l’école girondine Paul-Bert à Bordeaux qui emmène régulièrement ses élèves de CE1-CE2 dans un parc à Cenon (lire p. 18). « Les élèves apprennent dehors avec tous les sens en éveil. C’est bien le rôle de l’école de veiller au lien entre ces deux espaces. Il est essentiel que les enfants soient partie prenante de la classe dehors en les associant à sa conception, à la gestion du matériel, en les invitant à imaginer une autre façon d’apprendre », ajoute la formatrice en soulignant le fait que « la pratique très régulière de la classe dehors sur un temps long permet aux élèves de s’attacher à leur milieu de vie, d’y être attentifs et ainsi de développer leur identité écologique ».
PARTICIPER À LA RÉDUCTION DES INÉGALITÉS
Pour Aurélie Zwang, maîtresse de conférences à l’université de Montpellier, l’enjeu est aussi de permettre à l’école dehors de participer à la réduction des inégalités. « L’école dehors peut, en milieu urbain défavorisé, redonner de la valeur à des lieux de nature de proximité et contribuer à recouvrer de l’estime de soi au regard de l’endroit où l’on vit, observe-t-elle. De plus, partir des interrogations des élèves, dans des environnements ouverts, peut permettre de changer leur rapport au savoir, surtout chez les moins familiers avec la forme et la culture scolaires. »
Par ailleurs, l’universitaire défend les apports de l’école dehors au métier enseignant. « Le contact à la nature est aussi bénéfique au physique et au psychisme des enseignants, affirme Aurélie Zwang. La qualité de relation avec les élèves, davantage perçus comme enfants, le temps accordé à leur observation, la co-construction des apprentissages à partir du questionnement des élèves changent la relation pédagogique au bénéfice conjoint des PE et des élèves. »
Aujourd’hui, l’élan pour ces pratiques pédagogiques trouve, en outre, un nouveau relais dans une proposition de loi transpartisane présentée le 15 mai der-nier à Marseille lors des 2es Rencontres internationales de la classe dehors.
DES PROGRAMMES AMBITIEUX, VITE!
La pratique de l’école dehors, en augmentant les interactions des enfants avec la nature, génère des comportements coopératifs et éco-responsables pérennes et favorise l’apprentissage des savoirs scientifiques en lien avec les enjeux écologiques, en particulier l’effondrement de la biodiversité. Elle participe ainsi significativement à l’éducation au développement durable (EDD). Son appropriation pédagogique par les PE est toutefois entravée par des instructions officielles éparpillées et une tendance à affaiblir la place et la portée des problématiques écologiques dans les derniers programmes de sciences ou d’EMC. Des programmes clairs et accessibles sont nécessaires pour décliner l’EDD et les questions socialement vives qu’elle sous-tend en véritables objets d’enseignement ancrés dans le réel et incitant à développer les capacités d’analyse critique et d’engagement des élèves, futurs éco-citoyens et éco-citoyennes.
SOMMAIRE :
- Une lente maturation : éclairage sur l'histoire de la classe dehors
- En classe sans en avoir l'air : reportage d'une classe en pleine nature dans l'Aveyron
- "Développer leur identité écologique" : 3 questions à, Chrystèle Ferjou (CPD des Des deux-Sèvres)
- En pleine nature : reportage en classe dehors chez des CE1-CE2 en Gironde
- "Un levier de justice environnementale" : interview de Aurélie Zwang (maîtresse de conférence)