94% contre les programmes
Mis à jour le 27.06.24
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Le Conseil supérieur de l’éducation rejette quasi-unanimement les nouveaux programmes.
Les membres du Conseil supérieur de l’éducation ont rejeté quasi-unanimement les nouveaux programmes. Ce désaccord final fait suite à des heures de déclarations
et d’échanges tendus.
En arrivant rue de Grenelle, les représentant·es au Conseil supérieur de l’éducation (CSE)* du 6 juin savent que la journée sera chargée avec les nouveaux programmes de français et de mathématiques à l’ordre du jour. Visant à remplacer les actuels dans ces deux domaines en cycles 1 et 2, ils ont été élaborés par le Conseil supérieur des programmes (CSP) à vitesse accélérée depuis mars et sont présentés ce jour à l’avis de la communauté éducative. Avant même ce CSE, les organisations syndicales avaient publié une tribune dans Le Monde dénonçant des programmes outils de contrôle des pratiques enseignantes et inscrits « dans une stratégie éducative en rupture totale avec les valeurs historiques d’un enseignement émancipateur, fondé sur le refus des inégalités scolaires et sociales. Ils portent une vision mécaniciste, simpliste et, finalement, dangereuse pour les apprentissages des élèves. »
Dès leurs premières prises de parole, les organisations syndicales font part des conséquences probables : « précocité renforçant les inégalités », « normalisation créant de l’échec », « déshumanisation », « mise en œuvre intenable », « accentuation des écarts entre le prescrit et le réel », « risque d’aggravation des souff rances au travail », « confl its de valeurs »…
À l’initiative de la FSU-SNUipp, un vœu commun est présenté au vote demandant instamment l’abandon de ces programmes qui « portent la fi n du respect de l’expertise enseignante » et sont jugés empreints d’une « conception à l’envers de l’apprentissage ». Les syndicats réclament l’ouverture de « discussions larges permettant les consensus nécessaires sur l’ensemble de la recherche en éducation. »
DÉFIANCE ET DÉNI
Mais de consensus, il n’est nullement question lors de ce CSE. La DGESCO** et l’Inspection générale tentent de justifier leur volonté de changer une nouvelle fois les programmes en s’appuyant sur une consultation des enseignant·es. « Vous parlez du rapport seulement évoqué dans votre dossier de presse, non diff usé et que personne ne connaît à part vous-mêmes ? » questionne ironiquement un représentant du SNES (syndicat du second degré de la FSU).
Divers amendements posés par les organisations syndicales s’enchaînent et contestent en particulier la pertinence des choix didactiques et pédagogiques sous-tendant les textes. Les membres de l’administration présents finissent par avouer que leurs références se concentrent sur les guides d’accompagnement en vigueur et sur les avis du Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN). « Une négation assumée de décennies de recherches, en particulier en sciences de l’éducation », commente en off une déléguée pour la FSU-SNUipp. Sa camarade s’agace à son tour lors d’un échange portant sur les programmes de français de cycle 2 mentionnant que « l’utilisation d’un manuel de lecture garantit une programmation de l’étude des correspondances grapho-phonèmiques […] » Ouvrant son micro, elle explicite aussi calmement que possible que non seulement c’est bien l’enseignant·e qui garantit une programmation et non un outil, mais qu’aucune injonction ne peut être faite d’utiliser tel ou tel support. Elle dénonce une profonde remise en cause de la liberté pédagogique et de la responsabilité des PE. Elle poursuit son argumentation et rappelle que « l’étude « Lire-Écrire au CP » de 2016 dirigée par Roland Goigoux indique que le choix du manuel n'influe pas sur les acquis ».
Mais pour le chef de service de l'accompagnement des politiques éducatives, « ce qui est écrit est conforme aux propos du ministère : on le retrouve dans les documents d’accompagnement actuels ». Et l’argument se fait récurrent pour balayer les objections : sur une vision étapiste de l’apprentissage de la lecture, sur une minimalisation de l’importance des mots-outils, sur des évaluations nationales imposées comme outil de pilotage, sur la notion d’interactions… Le SIEN-UNSA, syndicat majoritaire des inspecteurs, finit par interroger « Le CSEN n’a pas mis en place une conférence de consensus scientifique à notre connaissance ? ». Les réponses désinvoltes de l’inspectrice et de l’inspecteur général présents tendent les débats.
« Ces programmes s’appuient donc claire-ment sur un mensonge scientifique », conclut un autre délégué de la FSU-SNUipp.
« UN CLOISONNEMENT DES ENFANTS »
Lors de sa déclaration liminaire, la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), rapportait le « feu incessant de réformes annoncées » dans le cadre du choc des savoirs et le dessein d’une « école de plus en plus inégalitaire ». À la pause méridienne, la FCPE avoue son inquiétude devant des programmes « qui tournent le dos aux cycles, qui cloisonnent les enfants dans des tranches d’âge, qui donnent des prescriptions si précises qu’elles empêcheront de prendre en compte les diff érents rythmes d'apprentissage, au mépris de l’hétérogénéité. » En fi n de journée, à l’image de la très grande majorité des membres du CSE, la représentante des parents vote « contre » ces nouveaux programmes.
Sur le perron, à la sortie, le mépris du ministère domine les échanges. Malgré une communauté éducative unie et partageant analyses et critiques, le large vote contre n’est que consultatif et ces programmes devraient être mis en place dès la prochaine rentrée. Même si, suite à la dissolution de l’Assemblée nationale, l’avenir de ces textes reste suspendu au futur gouvernement. La FSU-SNUipp publiera une analyse détaillée d’ici à la rentrée pour étayer les lectures des PE. D’autant que les gestes professionnels ne sont pas définis par les seules prescriptions et qu’il appartient aux enseignant·es de garder la main sur leur métier.
* Instance consultative regroupant des représentant·es des personnels de l’éducation et des usagers comme les parents, les lycéen·nes ou les étudiant·es.
**Direction générale de l’enseignement scolaire.
UNE BATAILLE PIED À PIED
Vingt-deux amendements présentés par la FSU-SNUipp, loin de faire le tour de ce qui pose problème pour autant, portent sur des points particuliers d’opposition. Ainsi le syndicat dénonce :- La récurrence d’objectifs chiffrés, de fréquences minutées donnant des cadences d’apprentissage fixées arbitrairement et basées sur un élève type normé imaginaire, ce qui créera de la difficulté scolaire et attaque frontalement la liberté pédagogique, l’expertise et la responsabilité enseignante.
- L’emploi exclusif du terme de procédures au détriment de celui de stratégies, un choix renvoyant à une application de protocoles dans une logique simpliste et par étapes imposées. En opposition à la réalité des apprentissages et des temps pédagogiques qui ne sont pas linéaires mais se nourrissent de dynamiques plus complexes. Au détriment d’une construction active et diversifiant les chemins mentaux possibles. De même que la résolution de problème se cantonne au domaine arithmétique, au lieu de la construction d’une capacité à chercher et raisonner dans un travail d’agilité intellectuelle.
- La précocité d’apprentissages techniques, dans des conceptions erronées. Le langage n’est jamais conçu comme construisant la pensée, l’écrit est réduit à une transcription de l’oral et priorisant le geste graphique avant les activités de production, la monnaie est utilisée comme référence pour les nombres décimaux dès le CP. L’ensemble des amendements présentés au vote ont fait l’objet d’un avis favorable du CSE, ignorés par le ministère.