L'école maternelle menacée

Mis à jour le 14.12.20

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Arguant de la scolarisation obligatoire dès trois ans, le conseil supérieur des programmes (CSP) a publié une note qui marque un changement profond dans la vision de ce que doit être l'école maternelle. Penser l'école maternelle au rythme des enfants, comme le préconisaient les programmes de 2015, c'est permettre à chacun d'évoluer à son rythme. Cette nouvelle conception de l'école maternelle ne fera qu'accroître les inégalités... même si le CSP allègue du contraire.

Les programmes de 2015 ont été le fruit d'une longue et largue consultation de la profession mais aussi de la communauté éducative. Construits dans une véritable démarche collaborative, ils ont été votés unanimement au conseil supérieur de l'Éducation (CSE) en 2015, rappelle SNUipp-FSU dans son communiqué. « Il y a la volonté », affirme le syndicat, « d'attaquer l'école maternelle dans ses fondements ». 

Pour rédiger la note « d'analyses et de propositions sur le programme d'enseignement de l'école maternelle », le CSP n'a consulté aucune organisation syndicale, aucun enseignante ou enseignant non plus et les rares références scientifiques abordées sont celles gravitant autant du Ministère, tels que Stanislas Dehaene ou encore Alain Bentolila. Et ce n'est pas vraiment une surprise, déjà en 2018, dans le dossier de presse du ministère de l'Éducation nationale et en 2019, dans la circulaire de rentrée, le ton était donné. Le CSP ne fait que reprendre à son compte les orientations ministérielles, devenant de fait, sa courroie de transmission. C'est aussi à nouveau l'exemple du peu de cas que fait ce ministère de la professionnalité enseignante et de sa conception très singulière d'une « école de la confiance... » 

Alors que les programmes 2015 placent l'enfant, et son développement, au centre des apprentissages, la note insiste sur le fait que les élèves de maternelle doivent être préparés à l'entrée en élémentaire. Cette préparation subordonne de fait l'école maternelle à l'élémentaire, faisant perdre de vue l'identité même de cette école si spécifique. « Les trois années de scolarité préélémentaire doivent assurer à tous les enfants des acquisitions qui leur seront nécessaires pour aborder avec confiance le cours préparatoire. Sans pour autant être l'antichambre de l'école élémentaire (sic), l'école maternelle doit permettre à tous les enfants d'accéder sans difficulté préalable aux apprentissages fondamentaux   ». Les programmes de 2015 avaient trouvé un équilibre entre la nécessaire préparation au CP et les objectifs spécifiques liés aux apprentissages des jeunes enfants. Les propositions de la note du CSP tendent à une réduction des programmes aux fondamentaux, et ce dès la maternelle, loin de l'objectif ambitieux d'une culture commune pour tous. 

Autre sujet d'inquiétude, les évaluations. Le CSP en préconise dès la PS et en GS, avec pour seul objectif d'en faire un outil de pilotage des enseignements. Une préconisation qui démontre encore une fois le manque de connaissance de l'école maternelle et des enfants qu'elle accueille. Mettre en place des évaluations normatives à un instant T, c'est faire fi des différences de rythme et de développement des élèves, c'est créer artificiellement de l'échec en traduisant les résultats en réussites ou échecs prédictifs d'une trajectoire scolaire. L'école maternelle doit rester le lieu de l'évaluation fondée sur l'observation des élèves en cours d'apprentissages à l'échelle du cycle. 

 Pour le SNUipp-FSU, l’école maternelle a surtout besoin d'une politique éducative qui prenne en compte sa singularité. Une politique qui fasse confiance aux enseignantes et enseignants sur le terrain, professionnels de l’éducation.

Le communiqué du SNUipp-FSU 

Une volonté d’attaquer la maternelle dans ses fondements

Après avoir aménagé les programmes de l’école élémentaire, le ministre s’attaque à l’école maternelle. En prétextant de l’instruction obligatoire à 3 ans, alors que l’école maternelle était déjà fréquentée par 97% des enfants âgés de trois ans, le ministre a chargé le conseil supérieur des programmes (CSP) de modifier ceux de l’école maternelle.

Les programmes de 2015 avaient pourtant été plébiscités par la profession et l’ensemble de la communauté éducative. La place du langage, le rôle du jeu comme entrée dans les savoirs ou encore l’importance des activités sportives et artistiques comme l’attention particulière aux progrès de chaque élève y étaient affirmés. Ces programmes dessinaient les contours d’une école maternelle bienveillante et exigeante, soucieuse du développement langagier, sensoriel, culturel, corporel et social de tous les enfants.

La note du CSP remet complètement en cause la philosophie même de ces programmes. Les auteurs de la note confondent langue (syntaxe, vocabulaire) et langage, en mathématiques, l’importance de la cardinalité est mise en avant au détriment de la construction du nombre. De même, les différences entre enfants ainsi que l'importance d’apprendre ensemble via des interactions entre pairs sont gommées. Les apprentissages sont ainsi réduits à des procédures mécaniques et répétitives modifiant profondément le sens de l'école maternelle. Des propositions qui révèlent une profonde méconnaissance du développement de l’enfant, de leur diversité et de la didactique des enseignements en maternelle.

Les résultats des évaluations nationales standardisées en CP, dont les finalités et la méthode sont contestables, serviraient aussi de prétexte pour réviser les programmes. Les objectifs de la maternelle seraient réduits à une préparation au CP et aux évaluations standardisées. L’obsession incessante de l’évaluation par ce ministère conduira inévitablement à classer les élèves dès l’âge de trois ans faisant ainsi reposer la responsabilité de l’échec scolaire sur les familles, notamment celles issues des milieux populaires. Ainsi voit-on réapparaître la tentation d’un dépistage précoce des enfants en forme de renoncement au “tous capables” qui devrait pourtant guider l’école.

Rendre l’instruction obligatoire à trois ans, sans investir pour une meilleure qualité de scolarisation dans l’école publique mais en resserrant les apprentissages sur les fondamentaux sans se soucier du développement de l’enfant c’est abandonner l’idée d’une école émancipatrice et démocratique qui permettrait la réussite de tous.

Pour prendre toute la part qui lui revient dans la réduction des inégalités scolaires, l’école première a besoin d'être confortée dans son fonctionnement actuel avec plus de moyens : effectifs réduits, formation initiale et continue spécifiques, locaux et matériels adaptés, une ATSEM par classe à temps plein, interventions du RASED...

L’école maternelle a surtout besoin d'une politique éducative qui prenne en compte sa singularité. Une politique qui fasse confiance aux enseignantes et enseignants sur le terrain, professionnels de l’éducation.

Paris, le 14 décembre 2020