Harcèlement scolaire : nuit gravement à l’enfant

Mis à jour le 11.12.19

min de lecture

Le 7 novembre a eu lieu la cinquième édition de la Journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire. Une occasion de médiatiser un problème longtemps passé sous silence.

Depuis la parution en 2011 d’une étude de la DEPP et de l’UNICEF montrant que 12 % des élèves de CE2 et de CM en souffrent, dont 5 % de façon sévère à très sévère, la lutte contre le harcèlement scolaire semble constituer un point de consensus et de continuité des politiques éducatives. Ainsi, la loi de refondation de l’école affichait en 2013 que la lutte contre toutes les formes de harcèlement devait constituer une priorité pour l’école. Une circulaire définissait la prévention comme « un enjeu majeur pour la réussite éducative » et comme « un sujet de préoccupation ». En 2014, le législateur avait qualifié le harcèlement scolaire en tant que délit inscrit au Code pénal. En 2019, la loi dite de la confiance pose à son tour le principe d’une scolarité sans harcèlement, indiquant qu’    « aucun élève ne doit subir les agissements répétés de harcèlement scolaire qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions d’étude susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

Un discernement difficile

L’information constitue alors une étape incontournable dans la prévention contre ce phénomène. Mais l’identification d’une situation de harcèlement reste délicate pour les enseignantes et enseignants. D’une part parce que les élèves harceleurs agissent de façon cachée et que les lieux où se déroulent les actes sont aussi ceux où le contrôle et la présence des adultes sont moindres, tels que la cour de récréation, les toilettes, les couloirs ou les vestiaires. Puis, parce que la distinction entre de simples chamailleries et un harcèlement n’est pas aisée. La banalisation possible des phénomènes de microviolences peut aussi compliquer ce repérage. Il importe donc de définir précisément ce harcèlement. Selon Dan Olweus, professeur de psychologie, « un élève est victime de harcèlement lorsqu’il est soumis de façon répétée et à long terme à des comportements agressifs visant à lui porter préjudice, le blesser ou le mettre en difficulté de la part d’un ou plusieurs élèves. » Cette violence peut prendre diverses formes : morale (moqueries, insultes, rumeurs…), physique (coups, menaces…), d’appropriation (racket) ou sexuelle (attouchements, gestes déplacés, voyeurisme…).

Un phénomène de groupe

De plus, il n’existe pas de profil type d’enfant harceleur ou harcelé, d’autant qu’il ne s’agit pas d’un face à face, mais bien d’un phénomène de groupe dans lequel le rôle des témoins est principal. Éric Debarbieux, auteur du rapport Refuser l’oppression quotidienne : la prévention du harcèlement à l’école  , rappelle que « le mécanisme de harcèlement est surtout une oppression conformiste. Il s’agit d’abord d’un groupe qui isole, exclut… C’est un groupe qui se construit, s’identifie en stigmatisant celui qui n’est pas « nous ». L’autre peut être rejeté en raison de sa couleur de peau, de cheveux, de sa culture, de sa religion, de son handicap, de son physique, de son genre, de sa classe sociale, de son poids, de son caractère timoré, de sa réussite scolaire, de ses habits, de son élocution…

Ce rejet social entraîne, comme toute violence répétée, une perte de l’estime de soi, parfois des lésions physiques ou des troubles psychosomatiques. Il s’accompagne souvent d’un désinvestissement scolaire. Le harcèlement sexiste, qui touche autant les filles que les garçons, reste une des causes majeures des dépressions graves et des tentatives de suicide chez les adolescents et adolescentes. Il est donc légitime que la lutte contre le harcèlement soit considérée comme un enjeu majeur et que les actions de prévention dans les écoles et la formation des PE se multiplient.

Trois questions à Omar Zanna

Docteur en sociologie et psychologie est l’auteur de L’éducation émotionnelle pour prévenir les violences (Dunod, 2019)

Omar Zanna

Le harcèlement peut-il s’expliquer par un manque d’empathie ?

Ce n’est pas si simple. L’empathie, c’est la disposition à reconnaître l’autre comme une version possible de soi, une disposition à percevoir le monde subjectif d’autrui comme si nous étions cette personne. Or, dans une situation de violence ou de harcèlement, confronté à une charge émotionnelle difficile à juguler, générée, entre autres, par des pairs, l’empathie est momentanément éclipsée. Dans de telles situations, l’autre n’existe plus en tant qu’autre mais en tant qu’objet à éventuellement, dépouiller, violenter.

Pourquoi alors éduquer à l’empathie émotionnelle ?

La compréhension des états mentaux et affectifs d’autrui permet de réduire la méconnaissance de ceux qui sont différents de nous. C’est alors une manière d’éduquer à l’altérité et à pluralité et ainsi se prémunir ainsi de pensées dogmatiques dont on connait les funestes conséquences.
D’autre part cela permet d’accueillir l’élève dans sa globalité, plutôt que de focaliser sur la seule dimension cognitive. Redonner une place au corps et aux émotions pour qu’ils ne soient plus des obstacles mais deviennent des leviers d’apprentissage. 

Quelles pistes pour la classe ?

J’ai repéré quatre « horizons pédagogiques ». Tout d’abord, le fait de pratiquer ensemble permet d’entrer en résonnance avec autrui. Puis, le fait d’observer les autres entraîne un apprentissage par vicariance. On apprend en regardant puis en faisant ce que les autres font. Ensuite, le partage des ressentis émotionnels par l’inversion des rôles facilite les relations. Et enfin la verbalisation des ressentis permet d’apprendre ressentir, reconnaître et progressivement à apprivoiser ses émotions. Mettre en mot une émotion c’est une manière de c’est une manière de se prémunir d’une réaction
de débordement.

Des ressources à étayer

Les campagnes de lutte contre le harcèlement scolaire lancées depuis 2012 visent à sensibiliser et mobiliser à la fois les élèves et la communauté éducative sur ce sujet. Mais il n’est pas certain que le pilotage sensé accompagner ce plan de prévention ait donné une réelle priorité au primaire dans ce domaine. L’obligation d’un protocole de prise en charge dans chaque établissement n’a pas toujours été accompagnée et les dix nouvelles mesures présentées par le ministre de l’Éducation en juin 2019 ont peu d’écho opérationnel dans les écoles. Si 310 référents harcèlement sont mobilisés dans les académies, les enseignants et enseignantes ne bénéficient d’aucune formation directe. Un site spécifique Non au harcèlement propose un protocole de traitement des situations de harcèlement et des séquences pédagogiques pour travailler la prévention en rendant les élèves acteurs et actrices.
Les réflexions sur l’amélioration du climat scolaire sont également un axe intéressant pour réduire le phénomène. Et si la prévention repose sur l’engagement des équipes, ces outils devraient être davantage partagés et accompagnés d’une formation.