Se former pendant les vacances ?
Mis à jour le 03.09.19
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La formation continue, indispensable à l’exercice du métier, passe à côté de ses missions. Les enquêtes internationales comme Talis soulignent régulièrement le retard français en la matière et seule initiative du ministère en cette rentrée : faire paraître le décret ouvrant la possibilité à cinq jours annuels de formation pendant les congés élèves malgré l'opposition de l'ensemble des organisations syndicales.
Qu’il s’agisse de la quantité ou de la qualité, la formation continue des enseignantes et enseignants reste en-deçà des attentes. Pourtant, selon le référentiel de compétences des professeurs et personnels de l’éducation, les enseignants et enseignantes doivent être capables de « s’engager dans une démarche individuelle et collective de développement professionnel ». Plus précisément, selon le BO du 18 juillet 2013, la ou le professeur des écoles « met à jour ses connaissances disciplinaires, didactiques et pédagogiques » et « est capable de faire une analyse critique de son travail. » Mais ces aptitudes semblent principalement relever d’une démarche personnelle plus que d’une volonté institutionnelle.
Faible quota horaire
En effet, le nombre d’heures allouées à la formation continue s’est érodé pour se limiter très souvent aux 18 heures d’animations pédagogiques. Les plans départementaux de formation se centrent aujourd’hui quasi exclusivement sur les stages statutaires, à public désigné, tels que la direction d’école, l’enseignement spécialisé (la préparation au CAPPEI), les débuts de carrière ou l’éducation prioritaire. Quand ils ne sont pas annulés faute de remplacement. Selon un rapport de l’IGEN de 2017, 80% des PE ne bénéficient d’aucune formation remplacée sur l’année.
Sollicitée et décevante
Et le constat n’est pas plus brillant qualitativement. 70% des personnels interrogés dans le cadre de ce rapport se disaient insatisfaits de l’offre de formation comme de l’amélioration de leur compétence professionnelle. La dernière enquête TALIS vient confirmer ce désastreux bilan. Basés sur les témoignages enseignants, les résultats de l’enquête 2018, publiés en juin dernier, alertent sur le sentiment d’insatisfaction concernant la formation. En effet, seulement 16% expriment un avis positif vis-à-vis de la qualité de la formation, contre un tiers dans les autres pays européens. 55% déclarent avoir suivi une formation à la prise en compte des élèves à besoins particuliers, alors que le besoin est exprimé. Il est vrai que ces 18 heures obligatoires étaient jugées par l’inspection générale elle-même, dans le rapport de 2017, trop descendantes et prescriptives. « Majoritairement utilisée comme outils de pilotage des réformes ou comme réponse à des priorités nationales, la formation n’est pas perçue par le professeur comme construite pour lui ». Depuis 2018, les notes envoyées aux recteurs pour cadrer encore davantage les animations pédagogiques et en recentrant leur quasi-totalité sur les maths et le français, aggravent cet état de fait. La volonté de prescrire les pratiques perpétue l’éloignement entre la formation continue et les attentes du terrain, mais aussi avec l’ambition de lutter contre les inégalités d’apprentissage. Loin de s’attacher au cœur de la classe, de donner à connaître divers champs de réflexion et de penser collectivement le métier, ce qu’il reste de la formation tend à soumettre les PE à l’application d’une seule forme de recherche. Or, les enjeux d’une école émancipatrice, pour toutes et tous, nécessitent une formation créant des ponts entre les divers domaines de recherche, l’évolution des savoirs, le travail réel, les gestes professionnels et osant interroger la question des finalités.
Formation pendant les vacances ?
Institué en 1972, le droit à la formation accordait un crédit de 36 semaines sur la carrière d’un instituteur ou d’une institutrice et instaurait la Brigade de formation continue permettant la formation sur le temps de classe.
Puis le temps des contraintes budgétaires a supprimé ces postes spécifiques et les possibilités de stages choisis se sont dissoutes.
En juin, pour restaurer un temps de formation continue au-delà des simples 18 heures visant à promouvoir ses ajustements de programmes, le ministère a proposé un décret instaurant la formation continue obligatoire pendant les congés. Cinq journées sont ainsi prévues sur les vacances, sans plus de précision, ni de date, ni de délais d’information préalable. Organisées « à l’initiative de l’autorité compétente », ces formations feraient l’objet d’une rémunération journalière de 120 € bruts. Refusé unanimement par les syndicats lors d’une première instance ministérielle, le décret a été représenté à l’identique lors d’une seconde commission et il est paru en septembre. Pour le SNUipp-FSU, c’est un nouvel allongement du temps de travail inacceptable. Les enseignants et enseignantes travaillent déjà 11 jours en moyenne pendant les vacances pour corriger, préparer leur classe. La formation continue doit être choisie et se dérouler sur le temps de service.
3 questions à Maira Mamede, maîtresse de conférences en sociologie et co-autrice de Former pour lutter contre les inégalités (ENS éditions)
En quoi la formation continue peut-elle participer à l’adoption de pratiques réflexives ?
La pratique relève de l’action, alors que la réflexivité est un retour sur l’action, qui nécessite la mise en suspens des urgences du réel, comme le dirait Bourdieu. Elles seraient a priori antinomiques, mais cette tension est intéressante. Dans une salle de classe, se jouent une multitude de micro-événements et on ne peut pas réfléchir sur tout. La formation continue est l’occasion de se focaliser sur certaines dimensions, de les transformer en objets d’étude, pour gagner en compréhension et réinvestir l’action. C’est aussi la possibilité de continuer à apprendre. L’apprentissage est au cœur du métier pour l’enseignant également.
La formation a-t-elle pour mission d’œuvrer à la lutte contre les inégalités scolaires ?
Oui, elle devrait. Les enseignants ont besoin d’outils pour décortiquer ce qui se passe en classe, surtout les débutants qui se retrouvent là où les inégalités sont plus marquées. Les difficultés d’apprentissage sont aussi des difficultés d’enseignement, des difficultés que tous les professeurs rencontrent. L’institution leur demande d’ajuster les pratiques aux élèves, mais encore faut-il qu’ils puissent anticiper ces difficultés et c’est l’expérience qui permet de le faire, à condition de savoir les analyser. Pour cela, la recherche est une ressource essentielle. Autrement, on risque de faire le contraire et alors les inégalités se creusent.
À quelle condition cela est-il possible ?
La principale condition est que la formation ne soit pas une variable d’ajustement des postes, à pourvoir ou à remplacer. Aussi que la formation soit pensée de façon cohérente sur une temporalité plus longue car les pratiques sont durables. On doit pouvoir penser la formation, initiale et continue, comme une parenthèse hors des contraintes du réel, et une mise en perspective avec les apports de la recherche, sans perdre de vue l’amélioration des pratiques. Ce n’est qu’en comprenant les ressorts qu’on peut les améliorer ou transformer. Les gens ont des raisons de faire ce qu’ils font. Il est tout à fait légitime que les professeurs aient envie de savoir ce qu’ils y gagnent, en termes d’efficacité, et ce que ce changement leur demande.