Choc des savoirs: inégalités renforcées
Mis à jour le 14.02.24
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Alors que les résultats Pisa (Programme International pour le Suivi des Acquis des Elèves) montrent une tendance mondiale de chute des résultats des élèves et pointent le système scolaire français comme étant l’un des plus inégalitaires, la rue de Grenelle persiste et signe. Le ministère porte une école encore plus ségrégative, qui ne répondra en rien aux difficultés réelles.
RÉVISION DES TEXTES
LES PROGRAMMES seront révisés autour de repères de progressivité et d’objectifs annuels. Le Conseil supérieur des programmes devrait rendre ses préconisations au printemps 2024 afin que les nouveaux programmes de maternelle CP, CE1 et CE2 soient mis en œuvre dès la rentrée 2024. Ceux de CM1/CM2 s’appliqueront à la rentrée 2025.
CE2 : lire un texte de 1 000 mots chaque semaine.
CM1 : lire un texte de 120 mots à voix haute chaque jour.
CM2 : produire deux textes d’invention de 20 lignes chaque mois.
Le ministère de l'Éducation nationale préconise d’anticiper l'apprentissage des fractions et des nombres décimaux : une découverte concrète et imagée au CE1 et un apprentissage de ces deux notions dès le CE2. Il souhaite également introduire la notion de probabilité dès le CE2.
Depuis 1995, aucune génération d’élèves n’a pu vivre complètement sa scolarité sans être bousculée par une réforme des programmes. Leur incessante remise en cause déstabilise le travail des PE qui vont devoir une nouvelle fois s’adapter dans l’urgence. La mise en place d’attendus en cours et en fin d’année balaie d’un revers de main et sans aucun bilan l’enseignement par cycle et porte atteinte à la liberté pédagogique. Donner du temps aux apprentissages est abandonné comme si tous les élèves apprenaient de la même manière au même moment.
LE SOCLE COMMUN sera réorganisé autour de quatre familles de compétences : mathématiques, français, psychosociales et culture générale.
Jusqu’à présent, le contenu du socle commun était divisé en cinq domaines d’apprentissages et ne se définissait pas comme une liste de compétences à acquérir. Il fixait les grands principes d’une culture scolaire commune pour l’école primaire et le collège avec des acquisitions progressives tout au long des cycles. Le ministère abandonne ce principe et par là même la conception d’une école ambitieuse pour tous les élèves.
REDOUBLEMENT, STAGE DE RÉUSSITE, AIDE PERSONNALISÉE
Le ministère souhaite sortir d’une doctrine du passage systématique en classe supérieure avec un passage « sous condition ». Les PE pourront prescrire des stages de réussite, de l’accompagnement personnalisé, du tutorat, le redoublement pour un élève en difficulté. Un élève de CP ne maîtrisant pas la lecture en fin d’année redoublera son année dans le cadre d’un parcours adapté (classe à deux niveaux, aménagements horaires). Si l’accord de la famille doit être recherché, l’équipe pédagogique est décisionnaire.
La multiplication des prises en charge individualisées et hors la classe n’a pas permis de lutter efficacement contre la difficulté scolaire. En annonçant que les PE seront décisionnaires en cas de redoublement, le ministère essaie de flatter la profession mais elle n’est pas dupe. La recherche a montré l’absence d'effets positifs durables du redoublement sur la scolarité et des effets négatifs sur le parcours scolaire de l’élève. Il demeure très inégalitaire socialement concernant notamment les élèves issus des milieux défavorisés. Pour répondre aux difficultés des élèves, les PE ont besoin de moyens supplémentaires (formation de qualité, PE spécialisés, PDMQDC, baisse des effectifs…)
LABELLISATION DES MANUELS
Des manuels en français et en mathématiques seront labellisés dès la rentrée 2024 pour les classes de CP et CE1 et en 2025 pour les CE2, CM1 et CM2.
Jusqu’à présent, les PE avaient la liberté de choisir les supports d'apprentissage pour mettre en œuvre les programmes. Une liberté pédagogique affirmée dès 1880 par le ministre Jules Ferry et le directeur de l’enseignement Ferdinand Buisson : « Cet examen en commun deviendra un des moyens les plus efficaces pour former à l’esprit pédagogique des enseignants [...], pour les accoutumer [...] à prendre eux-mêmes l’initiative, la responsabilité et la direction des réformes dont leur enseignement est susceptible ». Le ministère limite les choix et les options pédagogiques donnant le signe que les PE ne seraient pas suffisamment experts pour choisir les supports les plus appropriés à leur classe. En 2016, la recherche « Lire-écrire au CP » a pourtant montré que le choix des manuels avait moins d'importance dans les apprentissages des élèves que les savoir-faire des PE.
INSTRUMENTALISATION DE PISA
Le 5 décembre dernier, les résultats de la dernière enquête internationale Pisa* étaient rendus publics. « Une baisse sans précédent » titraient les médias, témoignant des conséquences de la pandémie sur les résultats des élèves. En France, la moyenne en mathématiques baisse de 21 points et est la plus basse depuis les années 2000. Le score en compréhension de l’écrit perd 19 points depuis 2018 tandis qu’il est stable en sciences. Mais la baisse des résultats des élèves français s’avère comparable à celle des autres pays. Une donnée passée sous silence par Gabriel Attal à l’annonce de la réforme, qui a cherché alors qu’il était rue de Grenelle à instrumentaliser Pisa, à grand renfort de communication, pour présenter et justifier son « choc des savoirs ». Des recettes dépassées qui vont à l’encontre des préconisations Pisa. En effet, l’OCDE - Organisation de Coopération et de Développement Economiques - défend, de longue date, la non pratique du redoublement, et alerte sur la mise en place de groupes de niveau qui peuvent stigmatiser les élèves et accroître les écarts de performance. Elle conseille de renforcer la formation initiale et continue des PE qui se sentent mal préparés face à l’hétérogénéité et aux difficultés des élèves. Les résultats des élèves français demeurent très corrélés aux inégalités sociales et la France reste l’un des pays où ces dernières pèsent le plus. En mathématiques, les élèves des milieux les plus favorisés obtiennent un score supérieur de 113 points à celui de ceux issus des plus défavorisés, surreprésentés en filière professionnelle. Autant de faits que la rue de Grenelle s’évertue à ignorer