À la mémoire de Missak et Mélinée

Mis à jour le 23.02.24

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Les élèves de CM2 de l’école des frères Chappe à Saint Etienne sont venus assister à l’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée . Le point d’orgue d’un travail historique au long cours.

"Missak Manouchian est un peu un héros pour moi, confie Thibault, élève de CM2 de l’école élémentaire des frères Chappe située en REP+ à Saint Etienne. Il a dit cette phrase superbe: ”Vous, vous avez hérité du droit d’être français, nous nous l’avons gagné””. Alors que c’est encore les vacances pour les élèves de Saint Etienne, les CM2 n’ont pas eu de difficultés à se lever tôt pour prendre le bus direction Paris afin d’assister avec leurs enseignants à l’entrée au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian. Pour Alia, c’est un exemple car “ils se sont battus contre le mal, contre les fascistes”. “Missak a réussi à mener un groupe contre Hitler, renchérit Natissa. Manouchian était le chef de la bande de l’Affiche rouge, ils ont été tués le 21 février 1944, il y a 80 ans” . 

C’est une très bonne chose qu’ils entrent au Panthéon parce que cela montre qu’on peut ne pas être Français et aimer la France autant qu’une personne française”, poursuit Thibault. Guidy, lui, est à la fois triste parce que Missak a été tué par les nazis et rempli de joie car Missak et Mélinée sont réunis au Panthéon. “Avant de mourir, Missak lui a dit de continuer à vivre, de partir à Erevan, la capitale de l'Arménie et d’avoir un enfant. C’est dans une lettre qu’on a étudiée en classe”, précise-t-il. Quant à Djena comme beaucoup de ses camarades, elle n’en revient toujours pas d’être là, à Paris “c’est un grand plaisir, on va s’en souvenir toute notre vie”.

Donner sens à l’histoire

Si les connaissances et les émotions sont nombreuses, cette venue à Paris résulte d’un travail au long cours. Tout a débuté à Leucate lorsque Jérémy Rousset, directeur de l’école maternelle des frères Chappe, assiste à la conférence de Benoît Falaize à l’université d’automne de la FSU-SNUipp: “Notre histoire doit pouvoir être partagée et être partageable auprès des élèves que l’on accueille”. Un déclic qui invite l’équipe pédagogique à se lancer dans l’aventure où les PE font le choix du concret pour être au plus proche des élèves. “On est parti de la plaque commémorative qui est sur l’école indiquant que Marcel Silberberg, enfant de l’école, a été déporté et gazé à Auschwitz, explique Nicolas Kroll, enseignant de CM2. Nous avons mené à la suite un travail de recherche avec différents partenaires: la famille de Marcel, son arbre généalogique, les archives départementales et municipales de la Loire, la visite de la ville avec un nouveau regard, le mémorial de la Shoah ”. 

Une démarche qui a permis aux élèves de donner l’envie d’aller plus loin. Lorsque Laurent Corvaisier, illustrateur, a été invité à réaliser une fresque sur les murs de l’école, les élèves se sont intéressés à cet auteur et ont découvert au travers d’une lecture offerte l’ouvrage “Missak Manouchian, l’enfant de l’Affiche rouge”*. “C'était au mois de juin, se rappelle Natissa. Quatre jours après avoir lu le livre, on entendait à la télé que Missak Manouchian allait entrer au Panthéon. On est allé voir les professeurs et on a demandé si on pouvait y aller. Ils nous ont aidé à écrire une lettre au Président de la République”. A la rentrée de septembre, le projet s’est poursuivi et les enfants ont travaillé sur la Seconde guerre mondiale, les débuts de la guerre et la Résistance.Partir du concret a permis aux élèves de voir les choses d’un œil nouveau, de donner du sens aux apprentissages, de comprendre", explique Nicolas Kroll.

Oser se lancer

Pourtant, “ il y a eu beaucoup d’appréhensions à traiter ces sujets au sein de l’équipe, se rappelle Laétitia Bonneville, directrice de l’élémentaire. Nous avons plein de gamins avec des histoires personnelles lourdes, issus de pays meurtris et qui viennent se réfugier en France pour des raisons diverses”. Mais l'équipe a été bien entourée, notamment par le mémorial de la Shoah et elle a bénéficié aussi du soutien des différents partenaires. “Il s’agit maintenant de poursuivre le travail. Nous envisageons de faire une exposition des travaux des élèves à l’école. Tout est à construire”, rapporte Kevin Sabatier, enseignant, avec un grand sourire pour qui ce voyage est avant tout un voyage d’émotions.

Missak Manouchian, à quelques heures d’être fusillé, n'a aucune haine contre le peuple allemand, précise Jérémy Rousset. Dans la période que nous traversons, la capacité à faire la différence entre un chef, un président ou un dictateur et son peuple gagne à être entendue. Le conflit entre la Palestine et Israël, entre l’Ukraine et la Russie, cette actualité, les élèves la vivent dans leur chair en rentrant à la maison. Que l’école publique puisse donner des filtres et des outils pour décrypter et arriver à penser cette nuance, c’est primordial et superbe”.

*Missak Manouchian , l'enfant de l'Affiche rouge, Ed Rue du Monde