“Il ne suffit pas que l’institution prescrive pour que cela se passe sur le terrain”

Mis à jour le 20.12.21

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Formation : état des lieux. Nouveaux dispositifs et objectifs du ministère. Conditions d'une bonne formation.

Patrick Picard instituteur, puis formateur, est devenu directeur du Centre Alain-Savary de l’IFE. En retraite, il poursuit l’accompagnement de groupes de formateurs.

Patrick Picard UDA 2021 ©Millerand

Quel est l'état de la formation continue des PE aujourd'hui ?

L’offre de formation s’est à la fois réduite et recentrée par rapport aux dix dernières années. Elle a été rendue difficile récemment du fait de la crise sanitaire et l’est aussi du fait de tensions qui s’exercent entre deux discours. D’un côté, celui issu de résultats de différents rapports qui dit que, pour que la formation soit efficace, elle doit partir du terrain, s’appuyer sur le réel des gens qui travaillent. Et de l’autre, un discours institutionnel qui veut de plus en plus considérer la formation comme un levier pour appliquer la politique éducative. De nombreux enseignants, les formateurs y compris, ont le sentiment d’un métier impossible.

Quel est le nouveau dispositif mis en place par le ministère et quels en sont les objectifs ? 

Le dispositif autour des constellations vise à former des enseignants pour améliorer les résultats des élèves. Ces formations ont l’ambition de centrer le travail sur un groupe d’enseignants, sur son vécu et à la fois sur la connaissance de l’action concrète en ouvrant les classes et en demandant aux gens de témoigner de leur activité. Dans le même temps, dans les formations nationales des formateurs, sont données des prescriptions pour implanter un certain nombre de méthodes dans les classes et vérifier ce que font les enseignants. Selon les territoires, la communication et les manières de faire sont différentes et relativement liées à la façon dont les inspecteurs locaux traduisent ce prescrit. Ici, des choses tout à fait passionnantes sont faites et ailleurs les enseignants vivent ces situations comme intrusives et déconnectées du réel.

A quelles conditions ce dispositif peut-il être un levier pour la formation ? 

Cela relève avant tout de la compétence professionnelle des formateurs qui ne doivent pas seulement être dans l’écoute des besoins mais être capables de s’intéresser aux problèmes réels des enseignants pour en faire des objets de formation. Cela dépend aussi de la manière dont les inspecteurs travaillent avec les formateurs pour installer des cadres de confiance et un travail mutuel associant les inspecteurs, formateurs, directeurs d’école et enseignants. Dans ces bonnes conditions, les formateurs sont à la fois capables de s’adapter aux différents publics et à leurs attentes.

Quelles dérives possibles ? 

Quand les professionnels ne se reconnaissent plus dans la formation, entendue comme espace collectif de débats professionnels, le risque est que le métier soit condamné à l’immobilisme, qu’encore moins de personnes se sentent intéressées par la formation, que cela soit quelque chose dont finalement les gens essaient de s’écarter. Il n’y a rien de pire qu’un métier qui n’arrive plus à faire face aux problèmes auxquels il est confronté. Et ce qui est certain c’est que les enseignants rencontrent des problèmes éducatifs et d’enseignement croissants avec des difficultés d’ordre multiple. D’abord, parce que les inégalités sociales aggravent les conditions de vie des enfants avec des effets sur la réalité du métier enseignant mais aussi parce que les difficultés de l’école inclusive sont importantes. Si on ne peut pas être contre l’inclusion, on peut être contre les conditions scandaleuses dans laquelle elle est mise en place. Et ce n’est pas juste un manque de moyens d’AESH c’est aussi de faire avec tous ces enfants tellement différents. Face à cela, il ne peut y avoir que des solutions collectives.

Quelles sont les conditions d'une formation de qualité où tout le monde y gagne ? 

Il ne suffit pas que l’institution prescrive pour que cela se passe sur le terrain. Il faut qu’à chaque niveau - dans les rectorats, inspections académiques, circonscriptions, écoles - cela devienne un vrai objet de travail. Or aujourd’hui la formation continue ce n’est l’objet de personne. Tout le monde doit être formé, par exemple à la laïcité, mais sans qu’il y ait eu au préalable une réflexion sur le problème auquel il faut former. Pourtant, lorsqu’un travail collectif est réalisé pour analyser les problèmes à régler, il y a des transformations rapides de la santé au travail des personnes, de la capacité à dire, à s’emparer des problèmes qui sont posés. Bien sûr, il y a aussi la question des moyens. Il faut investir dans la formation des formateurs et avoir une réflexion sur leurs conditions de travail qui font qu’aujourd’hui des personnes compétentes s’en vont pour exercer d’autres métiers. L’augmentation des postes vacants de formateurs est tout à fait inquiétante et fait peser un risque grave sur le métier enseignant.