Enseigner les maths, ça se calcule

Mis à jour le 27.11.22

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"Une activité authentique" : Cécile Allard évoque la démocratisation de l'accès aux mathématiques et les inégalités que l'on constate. Quelle place donner aux évaluations dans les apprentissages et quelles formation initiale et continue ?

Cécile Allard est maîtresse de conférences en didactique des mathématiques. Au sein du laboratoire LDAR, elle exerce à l'Université de Créteil. Ses recherches portent sur la résolution de problèmes, les pratiques enseignantes en EP et plus globalement sur la construction des inégalités scolaires en mathématiques. 

UDAUDA 2022 Cécile Allard©Millerand-Les grenades-Naja

Quels constats faites-vous dans la démocratisation de l'accès aux mathématiques ? 

Si l’importance des mathématiques est unanimement reconnue, dans les faits, l’identification de leur fonction ou de leur utilité ne va pas de soi. On comprend bien l’utilité de la connaissance de sa langue ou une langue étrangère pour s’exprimer dans son pays ou dans un autre... l’utilité est moins évidente pour les mathématiques comme pour les sciences, en particulier dans les milieux populaires qui accèdent peu aux métiers liés à ces disciplines. Je constate que l’école joue potentiellement un rôle pour la démocratisation de l’accès aux mathématiques, toutefois même les évaluations internationales soulignent à quel point cette potentialité ne se transforme pas en un accès réel puisque nous sommes dans un des pays où la corrélation entre inégalités scolaires en mathématiques et inégalités sociales est la plus forte… Mes constats quant aux inégalités sociales se conjuguent à ceux sur les inégalités de genre puisque des différences apparaissent également quant à l’accès des filles aux mathématiques.

Comment se traduisent ces inégalités à l'école ? 

Je prendrais appui sur mes travaux de recherche pour vous répondre. Ils mettent au jour des différences sur la façon dont les élèves résolvent les problèmes suivant qu’ils relèvent ou non de l’éducation prioritaire. On peut citer, par exemple, les tables de multiplication qui sont davantage connues ou reconstruites suivant les milieux scolaires. On pourrait citer aussi la conscience du rôle de l’écrit pour la mémorisation ou l’activité mathématique elle-même : écrire, raturer, griffonner, schématiser, relier, entourer, etc. Souvent, dans les milieux populaires, cette conscience ne se construit qu’à l’école et l’écrit reste associé à l’évaluation plutôt qu’à l’élaboration de sa pensée. Ces inégalités se traduisent aussi par un manque de confiance des élèves qui les conduit à préférer les automatismes. Les PE proposent alors des tâches plus simples et répétitives, mais prennent ce faisant le risque d’abaisser le niveau d’exigence.

Quelle place donner à l'évaluation dans les apprentissages mathématiques ? 

D’abord, l’amélioration des outils d’évaluation n’est pas suffisante pour élever le niveau des apprentissages ni pour réduire les inégalités. Des outils didactiques sont indispensables pour que les évaluations faites par les PE conduisent à des dispositifs d’enseignement adaptés aux difficultés des élèves. Malheureusement, on assiste plutôt à un pilotage de l’enseignement par l’évaluation : on me demande, par exemple, souvent de mettre en place des formations sur la droite graduée en maternelle pour que les élèves réussissent mieux les évaluations et que le travail effectué en maternelle par les PE ne soit pas déconsidéré. Mais les progrès des élèves sur la droite graduée ne signifient pas une amélioration de la construction du nombre qui, à l’école maternelle, est prioritairement un outil pour la quantification.

Que préconisez-vous en matière de  formation initiale et continue des PE ?

La modification récente de la place et du contenu du concours a conduit à un accroissement de la centration de la formation initiale sur les mathématiques disciplinaires alors que les futurs enseignants ont aussi besoin d’une formation didactique qui hélas devient quasi inexistante. En formation continue, les PE ont déjà construit une certaine professionnalité, les difficultés dont ils témoignent les amènent à se poser des questions didactiques dont les réponses auraient pu leur être apportées en formation initiale si l’objectif était bien de préparer au métier plutôt qu’au concours. Pour répondre à ces questions, il existe des ressources is sues de travaux de recherche collaborative particulièrement bien pensées : par exemple, celles conçues par le groupe Ermel depuis plus de quarante ans. La question des inégalités devrait être traitée plus profondément en formation car les réponses sont complexes et encore en construction. Les discours sur les méthodes prétendument efficaces détournent la formation des vrais enjeux : que les PE apprennent à identifier des tâches qui engendrent une activité authentique tant du point de vue des mathématiques que du point de vue des élèves. Ce niveau d’exigence passe par un encouragement à travailler ensemble, à monter des projets, à assurer un suivi rigoureux des apprentissages des élèves.